- Accueil
- Parcours scolaire et éducatif
- Services et établissements
- La notion de trajectoire de vie
Jean-Jacques Detraux, psychopédagogue apporte son éclairage sur la question des trajectoires de vie.
La notion de trajectoire de vie nous semble intéressante car elle met en avant une vision éco-systémique et nous conduit à réfléchir le parcours comme un processus au cours duquel se construisent simultanément ET la personne en situation de handicap ET son entourage familial ou professionnel.
Nous proposons donc une approche qui s’appuie sur une socio-construction des relations, des identités, des compétences, des savoirs. La dynamique de cette construction repose sur une série de confrontations qui ont chacune leurs enjeux et vise à donner du sens aux diverses interventions. Cette mise en sens à travers des échanges contribue à l’élaboration d’un espace de relations à même d’ancrer les liens interpersonnels dans le cadre de multiples interdépendances « obligées », favorisant ainsi une dynamique de coopération (et pas simplement de collaboration) fondées sur une réciprocité des liens et une reconnaissance mutuelle des acteurs impliqués – parents, professionnels, personne handicapée.
Dans la réalité des parcours, nous assistons dans de (trop ?) nombreux cas à un quasi statut quo entre la période de l’enfance et l’âge adulte : pauvreté en termes d’accessibilité à des espaces, pauvreté des réseaux sociaux, pauvreté dans la maîtrise de savoirs utiles, parcours figés et ouvrant à peu de possibilités. Nous observons également une difficulté dans les dialogues entre parents et professionnels, ou entre professionnels de disciplines différents.
Par ailleurs, nous avons encore difficile de considérer la personne en situation de handicap comme un acteur à part entière. Nous la plaçons « au centre » de nos interventions et ce faisant, nous la maintenons dans un statut d’objet de traitement et non de sujet-acteur. Nous parlons « sur » la personne, « de son cas » et non avec elle.
Il s’agit selon nous de placer plutôt le projet au centre, celui-ci relie les divers acteurs. Il ne se résume évidemment pas à un simple document. Il constitue à nos yeux l’espace/temps où des attentes (projection de possibles dans le social) et des besoins (exprimés sous la forme explicite de conflits d’intérêts, de tensions,..) peuvent être examinés.
Ces parcours de vie peuvent être examinés sous différents angles :
- sous l’angle de trajectoires individuelles, privilégiant ainsi le rapport que chaque acteur peut faire de son vécu et mettant en évidence des phases critiques (annonce de la déficience, entrée à l’école, passage à la vie adulte, etc). Ces phases sont à négocier de manière particulière car des dysfonctionnements peuvent engendrer des effets à moyen ou long terme chez chacun des acteurs impliqués. Cette approche a le mérite de donner la parole aux personnes mais ne rend pas compte des enjeux sociaux et n’offre pas réellement de perspective d’avenir. La personne est considérée dans sa réalité ici et maintenant. On s’intéresse par exemple à sa qualité de vie tant perçue qu’objectivée, mais aussi à son identité narrative, c’est-à-dire à son aptitude à se penser en tant que sujet doté de capacités subjectives et objectives lui permettant de se projeter dans le futur
- sous l’angle de processus s’enchaînant plus ou moins les uns avec les autres, ayant leur logique et surtout renfermant chaque fois des enjeux essentiels obligeant à une décentration (cf. par exemple les enjeux d’un accueil en milieu non spécialisé ou les enjeux que renferment l’accordage entre parents et professionnels) ; cette perspective conduit à des modélisations sans doute fort utiles pour offrir des repères à des pratiques au quotidien. Cette approche a le mérite d’aborder la complexité des mécanismes pouvant rendre compte d’une réalité toujours en mouvement et tend à s’écarter de réductionnismes sclérosants. Elle permet notamment de s’intéresser aux diverses dimensions intervenant dans la cohérence et la continuité des cheminements ainsi que dans la conciliation des temps et des rythmes et de cerner les divers facteurs demandant aux intéressés de pallier les dysfonctionnements en développant des stratégies compensatoires qui, bien qu’offrant des réponses concrètes aux questions qui se posent, apparaissent bien souvent comme des révélateurs de handicap faisant partie intégrante du processus de production du handicap. Mais elle aussi difficile à mettre en oeuvre, exige des investissements en temps et en énergie, sans apporter des « solutions » à court terme.
- sous l’angle de pratiques ayant ou non une cohérence, s’articulant ou non les unes avec les autres, s’avérant ou non – « efficientes » en liant objectifs visés et moyens réellement mis en oeuvre. Cette approche qui se veut pragmatique a le mérite d’interroger directement ceux et celles qui se sentent investis d’une mission d’intervention dans l’action sociale, l’éducation, la santé. Elle repose sur l’idée d’une production correcte, satisfaisante aux yeux d’un « client » devenant l’unique raison d’être de ces pratiques. On peut ainsi être conduit à hiérarchiser des pratiques, les unes (par exemple, une démarche thérapeutique) paraissant prioritaires par rapport à d’autres (par exemple, une démarche éducative de base, un apprentissage spécifique, …).
Une réflexion importante doit être menée autour des rôles et fonctions de chacun, ces rôles et fonctions étant appelés à évoluer, à changer et à se complémentariser les uns avec les autres. Associés à ces rôles, il nous faut considérer les compétences présentes et à renforcer ( empowerment) les savoirs et savoirs pratiques pour piloter des actions, les capacités à faire face (coping) et les déterminants d’une résilience tant individuelle que groupale : on est pas résilient, on le devient mais des prédispositions semblent conduire certains à mieux transcender l’adversité, voire à se remobiliser autour de nouvelles valeurs.
Il convient aussi de s’interroger sur l’effet capacitant des pratiques, c’est-à-dire leur aptitude à permettre à a personne de satisfaire aux exigences qui peuvent lui être faites, d’assumer de nouveaux rôles sociaux. Enfin, la recherche d’un sens profond à l’ensemble des actions entreprises, des investissements consentis, des sacrifices parfois réalisés, des renoncements inévitables, est à privilégier. Il nous faut en effet bien considérer que la quête d’une identité personnelle – que ce soit au niveau du professionnel ou du parent ou de la personne en situation de handicap- est et reste primordiale. Quelle signification revêt mon investissement et en quoi celui-ci va-t-il me permettre de me construire ou reconstruire une identité personnelle ?
Pour contacter l’auteur :
jean.jacques.detraux@ulb.ac.be