A propos du suivi individuel des enfants handicapés

A propos du suivi individuel des enfants handicapés
03.04.2013 Expériences et initiatives Temps de lecture : 7 min

En complément de notre article sur le psychologue scolaire, le témoignage d’Aline NERET, membre de l’AFPEN…

Tout d’abord, qu’entend-on par enfant handicapé ? Depuis la loi 2005 sur l’égalité des chances, pourrait-être considéré comme handicapé tout enfant étant référencé à la MDPH ou bénéficiant de compensations qu’elle lui octroie. Il n’est pas rare que par ailleurs les enfants en question bénéficient également d’autres prises en charge (suivi en orthophonie, ou en psychomotricité, orthoptiste, ergothérapeute…).

Parfois les suivis sont coordonnés au sein d’un établissement spécialisé (en temps partagé par exemple) ou d’un SESSAD (service de soins spécialisés à domicile).

En ce qui concerne ma pratique,il est vrai que la plupart du temps, je n’assure pas de suivi individuel quand l’enfant fait déjà l’objet de (nombreuses) prises en charge à l’extérieur de l’école.

Le travail se poursuit au travers de bilans à renouveler pour l’actualisation du PPS (projet personnalisé de la scolarité : volet scolaire des compensations MDPH) ou de rencontres avec son enseignante pour aider à la mise en place d’adaptations ou une mise à distance de certaines situations problématiques. Des entretiens avec les parents sont aussi proposés.

Toutefois, il m’arrive parfois de rencontrer régulièrement des enfants « handicapés » dans le cadre d’un suivi individuel.

En voici quelques illustrations

Début de CE2, Philippe est décrit par son enseignante comme quasi non lecteur. Des suites d’un problème à la naissance, son bras gauche est handicapé. Il semble s’en débrouiller : la main peu mobile sert aux appuis par exemple pour écrire ou dessiner. On raconte que les années précédentes il était relégué avec d’autres à la table des « pénibles ». Le bilan psychologique fait apparaître probablement un trouble spécifique des apprentissages confirmé par une orthophoniste et des examens en centre de référence. Une rééducation se met en place. Son enseignante adapte son travail. Parallèlement, je lui propose un cadre d’écoute avec pour intention de l’aider à restaurer un peu l’estime de soi bien altérée par le discours négatif (et de ses difficultés scolaires) dont il avait fait l’objet les années précédentes. Philippe investit bien cet espace, évoque ses progrès : pouvoir lire des phrases, des textes puis de petits livres avec l’orthophoniste. Il dessine beaucoup, des personnages très musclés, très armés, les met en scène, raconte comment ils se défendent des attaques… Au fil des mois, Philippe arrive souriant, fier de dire ses progrès. En milieu d’année, il lit et comprend, son enseignante souligne ses progrès.


Aurore a trois ans. Dès les premiers mois de petite section de maternelle, son repli interpelle son enseignante qui l’adresse au CAMSP (centre d’action médico-sociale précoce) avec une hypothèse d’autisme. Après coup, la mère me contacte, sur le conseil du CAMSP. Aurore n’est probablement pas autiste mais présente un problème de perte d’audition. Son langage s’est installé plus lentement. Elle est suivie en orthophonie et en psychomotricité. Je la rencontre régulièrement à l’école pour l’aider à symboliser : jouer, entendre des histoires, dessiner… Après une deuxième grande section elle est « référencée MDPH », puis orientée en CLIS1. Elle progresse. Dans son rapport à l’autre persiste quelque chose d’un peu étrange. Je ne travaille plus avec elle mais rencontre régulièrement ses parents, sa mère souvent. Un suivi démarre avec un SESSAD. A l’occasion d’un épisode de difficultés d’endormissement, qui semblent agiter toute la famille ses parents viennent me demander de travailler de nouveau avec elle. Les capacités de symbolisations d’Aurore se mobilisent, la question de la séparation d’avec les parents, de la possibilité d’être seule affleurent dans ses jeux, son agressivité aussi… Cela dure quelques semaines. Aurore va mieux. La tranquillité semble revenir en elle et à la maison. Le SESSAD apprend mon accompagnement et s’en offusque, considérant qu’il coordonne toutes les interventions autour des enfants qui leur sont confiés.


Karl a quatre ans quand ses parents le scolarisent. Il pleure très longtemps, cherche son doudou, déploie des trésors d’inventivité pour l’atteindre quand son enseignante croit le mettre hors de portée. Il répète inlassablement avec une voix monocorde haut perchée les tirades de personnages d’un dessin animé. Il semble ne pas considérer les autres enfants. Avec l’adulte, il répond en écholalie. Parfois il se réfugie dans le coin jeu, choisit un objet qu’il manipule de façon stéréotypée. Après l’avoir rencontré quelques fois, je l’adresse au CMP, ce que son père prend très mal, mais il y est inscrit et y poursuit ses progrès. Il a appris à lire, mémorisant tout ! Les autres domaines ne semblent pas investis. Il bénéficie d’un PPS, avec pour compensation un accompagnement humain. Les parents ont finalement renoncé à l’orientation CLIS 1 qu’ils avaient suggérée. Un suivi par un SESSAD démarre. Un jour où il va « particulièrement mal » suite à un problème entre l’école et ses parents, la pédopsychiatre du CMP me demande de le voir. Il a maintenant huit ans. Je ne le reconnaît pas, il se remémore ma drôle de réaction deux ans plus tôt quand j’avais fait tomber une boîte à l’occasion d’une passation de test. Il en rigole encore en m’imitant ce jour -là. Il voudrait le refaire (le KABCII l’avait bien intéressé). Il me pose des questions, s’engage dans une conversation, demande à découvrir des jeux, des livres, mène avec moi une oralisation à deux voix. Je lui demande s’il veut la présenter à sa classe. Il est d’accord. C’est un moment émouvant. Je me demande si renouveler l’expérience ne l’aiderait pas à un peu s’ouvrir aux autres. Quand il me croise, il me demande s’il vient « travailler avec [moi] ». Cette fois encore, le SESSAD accepte mal l’idée. Nous nous arrêtons là, un suivi individuel attendu jusque-là suite à son travail en groupe commence au CMP.


Gaël a huit ans, il a été diagnostiqué TDAH (trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité), il en parle (comme ses parents) comme d’une identité. Quand il se présente au groupe de jeu, il raconte les circonstances dramatiques de sa naissance qui ont provoqué son état, jusqu’au jour où une camarade répond qu’elle n’y comprend rien et qu’il lui répond que lui non plus. Ses parents fréquentent des associations de parents « d’enfants-TDAH », tout est dit via ce filtre. Il va bientôt avoir un dossier à la MDPH pour une aide humaine (qui jugulera ses débordements…). En entretien, Gaël tente d’élaborer ses angoisses de mort. A l’occasion des rencontres avec ses parents, il demande à pouvoir continuer « le travail avec la psychologue ». Ils répondent que le neurologue n’est pas trop pour, que ça lui donne des idées noires…

En conclusion

j’aurais envie de dire que le suivi individuel peut être proposé à un enfant handicapé comme à un autre, cette notion étant parfois très administrative. Il est utile de se questionner toutefois quant à sa pertinence à côté des prises en charges déjà mises en places. Etre un enfant handicapé appelle des adaptations, des compensations, mais parfois aussi un espace d’écoute pour élaborer ce qui a trait au vécu du handicap ou à toute autre problématique pouvant concerner n’importe quel enfant dans son développement psycho-affectif. Il faut du temps, de la concertation et la prise de conscience (par ses parents, ses éducateurs, ses rééducateurs…) de sa position d’enfant et de sujet pensant au-delà du handicap qu’il porte.

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