- Accueil
- Parcours scolaire et éducatif
- Scolarité
- Les mutations des accompagnements et des identités professionnelles
Le contexte de titularisation et de professionnalisation des métiers de l’accompagnement questionne le devenir des fonctions assurées jusqu’ici par les AVS ainsi que les liens de collaboration construits avec les familles, les enseignants et les soignants. Si l’on parle de professionnalisation, on peut s’attendre à parler également d’identité professionnelle…
Extrait de l’intervention de Clarisse Lecomte, sociologue, lors du forum La Courte Echelle, Lyon, avril 2014
Mais est-ce à dire que les AVS n’étaient pas « professionnels » jusque-là et n’avaient pas « d’identité » ? On pourrait en tout cas examiner ce qui s’est construit jusqu’ici à travers la variété des situations vécues par les AVS ?
Pour répondre tout à fait à cette question c’est une recherche-action qui pourrait être entreprise. Elle permettrait de montrer en quoi aujourd’hui on peut ou pas, considérer qu’une identité professionnelle AVS est en construction et de comprendre comment celle-ci pourrait ou pas se développer et se transformer voire être fragilisée ou renforcée par la titularisation et la formation diplômante.
(Mon intervention du 9 avril dernier à Lyon n’avait pas l’ambition de répondre à ces questions. Il s’agissait seulement de poser quelques jalons pour rendre compte de ce qui me semble important de partager aujourd’hui avec les acteurs de l’accompagnement scolaire des élèves en situation de handicap du point de vue qui est le mien c’est à dire en mettant en lien une perspective sociologique et une perspective psychologique au sujet de l’identité professionnelle.)
L’AVS un métier ou une profession ?
Il est rare qu’un cadre juridique concerne un métier. Il existe en revanche des exigences propres affichées et défendues par des corporations par exemple. Ces dispositions visent à garantir que des règles de métier soient apprises en formation par exemple et mises en oeuvre pour que ce qui est à faire soit reconnu comme bien fait par des gens du métier et par le public destinataire du service, de l’objet ou de la prestation.
Dans certains métiers sensibles, des contrôles existent cependant pour réguler les risques (métier de l’alimentation- du bâtiment..) et peu d’activités échappent maintenant aux enjeux de certification, de normalisation. Pourtant dans le langage courant on ne dit pas exactement la même chose quand on dit « elle a du métier » et « elle est professionnelle ».
En effet la notion de profession ne recouvre pas exactement la même chose, il ne s’agit pas de travailler dans les règles de l’art du métier mais de faire garantir par la loi que celui ou celle qui accèdera à l’exercice de telle ou telle profession possède bien le diplôme requis, c’est à dire les connaissances et les codes de conduite définies comme nécessaires à cet exercice.
Ainsi la profession de médecin, d’architecte, d’avocat, de psychologue etc.. sont-t-elles des professions réglementées afin de garantir à ceux qui y font appel le niveau d’expertise attendu. L’ordre (des médecins, des architectes) en régit l’appartenance ou l’exclusion.
Etre professionnel indique que l’on remplit ces obligations et que l’on peut tenir un discours à ce sujet, le professer même. Lorsque l’on dit « c’est un professionnel », c’est le caractère règlementaire, droit et précis que l’on qualifie. On évoque d’ailleurs la « déformation professionnelle » que cela occasionne dans la vie hors travail. On se réfère aussi à la profession comme à un discours et à des débats propres à la profession justement.
La distance du professionnel à son activité apparaît plus grande que celle de la personne à son métier qui en ce sens paraît plus « incorporé », moins soumis à l’ordre d’un discours qu’à la justesse du geste.
Des fonctions peu reconnues dans un contexte fortement professionnalisé
Actuellement les AVS occupent des fonctions et jouent des rôles mais n’exercent ni un métier, ni une profession, ce qui ne les identifie pas clairement dans un système inter-institution déjà lourd et complexe qui ne sait pas toujours articuler les différentes cultures (A.I.S, enseignement, soin, handicap, social, familial..).
Cela les place dans une position de dépendance vis à vis des contextes institutionels, et organisationnels et vis à vis des relations. Autrement dit, leur reconnaissance et leur légitimité dépendent des conditions locales dans lesquelles ils arrivent. Leurs interlocuteurs, professeurs, soignants, travailleurs sociaux, para-médicaux sont eux au contraire assurés de leur légitimité par leur statut et leur profession.
Au cours de leurs échanges avec les différents acteurs, les AVS ne peuvent pas s’appuyer sur une culture de travail propre à un métier ou à une profession dont ils auraient pu s’approprier les caractéristiques, mais seulement sur les dispositifs (CLIS, ULIS..) les lois (2005..), sur leurs ressources propres (expériences, lectures..) et sur les relations créées bien sûr avec les différents personnes avec lesquels ils travaillennt. En cas de débats et de conflits, inhérents aux activités de travail, les AVS n’ont donc pas la consistance qui aurait pu en principe se construire au cours de la formation à un métier ou à une profession.
Vers une qualification aux métiers de l’accompagnement ?
Le référentiel de formation en cours de construction prévoit de créer un diplôme commun à différents métiers dit de l’accompagnement (Auxiliaire de Vie Sociale actuellement dans le champ de la dépendance au domicile, Aide Médico-Psychologique en institution et Assistant de Vie Scolaire en milieu d’enseignement) afin de permettre des passerelles au cours d’une vie professionnelle.
L’accompagnement est cependant une notion large et particulièrement utilisée depuis une trentaine d’années alors que les activités de service à la personne se sont développées et sont aussi devenues l’objet de nombreuses attentions, en termes de marché de l’emploi, de réduction des coûts des prises en charge mais aussi d’une meilleure prise en compte des besoins de maintien de l’autonomie des personnes en situation de dépendance.
La professionnalisation est donc en question également afin d’offrir peu à peu aux personnes qui occupent ces fonctions la possibilité de se développer, de quitter la précarité et ainsi de faire mieux reconnaître leur rôle et leur utilité. A travers ce processus il est aussi espéré que les situations des personnes pour lesquelles elles travaillent soient mieux connues et reconnues.
L’expérience des Auxiliaires de Vie Sociale s’occupant de personnes âgées montrent cependant combien le chemin est long dans notre contexte culturel qui d’un côté cherche à promouvoir le CARE, la vulnérabilité et la capabilité comme modèle et qui d’un autre continue à imposer majoritairement des critères de performance et d’excellence aux individus et ce, dans toutes les sphères de leur vie.
Des activités invisibles
Un phénomène d’invisibilisation de leur travail caractérise aussi la situation des professionnelles de l’aide à la personne. D’une part parce que les activités liées à la dépendance, au handicap et à la maladie rendent visibles ce que l’on s’efforce de tenir à distance de nos vie et d’autre part parce que le propre des activités d’aide et de soin est de disparaître dès lors qu’elles ont été accomplies avec succès. Autrement dit on ne les voit vraiment et on n’en parle que lorsqu’elles posent problème.
Nous observons tous également que les activités d’accompagnement de la personne demeurent fortement féminisées, précaires et peu reconnues alors même que les pouvoirs publics et la société civile s’accordent à leur donner de plus en plus d’importance. Pour les Auxiliaires de Vie Sociale nous sommes par exemple loin du compte en terme de reconnaissance, d’évolution et de stabilisation des conditions d’exercice du métier alors que le DEAVS (Diplôme d’Etat d’Auxiliaire de Vie Sociale) a plus de dix ans maintenant.
Plus une activité d’aide est répétitive et touche aux sphères du corps et de la vie quotdienne plus elles restent dévolues aux femmes. Et plus une activité même professionnalisée et/ou hautement qualifiée est occupée par des femmes plus elle perd en prestige et en autorité symbolique sur le marché des places sociales.
De ce point de vue une hiérarchie implicite pourrait s’établir dans le champ de l’enseignement entre différentes professions toutes très féminisées.
La spécificité irréductible du domaine scolaire ?
Le questionnement central est aussi celui de la spécifité des champs d’exercice. L’accompagnant à la vie scolaire se distingue t-il des autres métiers de l’accompagnement ? Et si oui en quoi ? Est-ce parce qu’il participe aux apprentissages cognitifs ?
Pour l’Education Nationale, la pédagogie doit rester de son ressort exclusif et l’AVS doit assurer seulement les adaptations nécessaires au handicap que vit l’élève dans les conditions ordinaires de la classe. Pourtant l’AVS est bien un passeur et en ce sens il participe à l’activité pédagogique.
L’enjeu est-il de considérer cela comme une spécificité irréductible et si oui qui sera habilité à dispenser la formation si l’Education Nationale ne reconnait pas nécessaire le développement de cette compétence chez l’AVS ?
Si comme le propose actuellement le projet de diplôme d’état commun (DEAVS, DE AMP) la formation des AVS les qualifie à un niveau 5 ce serait une première dans le champs scolaire qu’une compétence pédagogique soit reconnue à ce niveau de qualification. Il est possible que cela heurte la profession d’enseignant.
Mutation et identité ?
Nous avons donc affaire à une mutation qui signale que ces changements prennent place dans un processus lent et complexe de nature culturelle. Ce sont par conséquent les imaginaires, c’est à dire les représentations qui nous permettent de donner sens à la réalité qui sont touchés. C’est en cela qu’une perspective psychosociale est nécessaire pour comprendre les changements. Les représentations sont en effet à l’interface du psychologique et du social. C’est par elles que nous participons et créons en même temps notre monde.
Ce qui m’a intéressée en répondant à votre sollicitation relève d’ailleurs d’une conception psychosociale des processus de changement. Je suis en effet partie du fait que tout n’allait pas changer et tout n’était pas à changer sur les questions de l’accompagnement scolaire quand bien même les acteurs s’étaient faits entendre et reconnaître avec d’une part la loi de 2005 puis d’autres part les récentes décisions de titulariser et de former les AVS.
Cette position invite en effet à toujours rester proche des situations et des conduites humaines telles qu’elles sont vécues par les personnes avec le sens qu’elles leur donnent où parfois leurs difficultés à en donner justement.
Avant les AVS avaient une fonction, ils et elles vont avoir un métier. Avant les AVS étaient maintenus dans un statut précaire et ils vont maintenant signer des contrats à durée indéterminé.
Aussi décisifs soient ces changements, il s’agit d’une mutation dans la mesure où l’on considère que d’autres transformations moins radicales ont affectées le champ d’exercice de l’AVS jusqu’ici d’une part et que cette conquête de la reconnaissance du métier si elle est gagnée n’empêche pas les questionnements sur ce qui va se transformer à cette occasion.
Extrait de l’intervention de Clarisse Lecomte, lors du forum La Courte Echelle, Lyon, avril 2014
Centre ESTA
http://www.centre-esta.fr/