Interview du professeur Nicolas FRANCK
Qu’est-ce que l’on entend par fonction cognitive ?
Les fonctions cognitives désignent les processus de traitement de l’information que notre cerveau met en œuvre pour nous permettre d’interagir avec notre environnement : nous sommes ainsi capables de percevoir, de nous concentrer, d’acquérir des connaissances, de raisonner, de nous adapter et d’interagir avec les autres.
Le centre ressource de réhabilitation psychosociale (CRR) décrit les principales fonctions cognitives ainsi :
- L’attention
- La mémoire
- La mémoire de travail
- Les fonctions exécutives
- Les fonctions visuo-spatiales
- La cognition sociale
Comment définit-on et évalue-t-on les difficultés cognitives ?
Tout d’abord il faut dépister une éventuelle plainte cognitive. Il peut s’agir par exemple, chez l’adolescent ou l’adulte, de l’incapacité à suivre un film d’un bout à l’autre, à tenir une conversation ou à lire un magazine en entier sans difficulté. Chez l’enfant c’est du même ordre mais adapté à chaque tranche d’âge et au niveau de développement correspondant.
Une plainte cognitive doit conduire à une évaluation standardisée qui repose sur des épreuves, dont des normes ont été établies par classes d’âge. Les résultats de cette évaluation, mise en œuvre par un neuropsychologue, constitue le bilan neuropsychologique. Ses résultats indiquent les domaines où l’enfant est performant et ceux où il l’est moins par rapport à ce qui est attendu pour sa classe d’âge. Une fois qu’une difficulté a été identifiée, on en recherche le retentissement concret, c’est-à-dire l’impact sur la vie quotidienne.
Cette évaluation des répercussions fonctionnelles est formalisée. Elle permet de quantifier l’impact sur la vie quotidienne des troubles cognitifs et de déterminer si cet impact risque d’entraver les projets de la personne.
Quelles sont les difficultés des personnes à qui s’adresse la remédiation cognitive ?
La remédiation cognitive s’adresse aux personnes, adultes ou enfants, ayant des troubles cognitifs dont le retentissement sur la vie quotidienne nuit à la réussite de leurs projets. L’indication de remédiation cognitive n’est posée que lorsque ces trois critères – présence de troubles cognitifs associés à un retentissement tangible avec un impact sur les projets – sont présents. Elle n’est pas proposée face à un diagnostic ni au simple résultat d’un test, mais devant une gêne fonctionnelle avec un retentissement concret.
A partir de quel âge ? La remédiation cognitive est utile aux adultes et aux enfants, dès qu’ils sont capables d’apprentissage. En théorie c’est donc un outil thérapeutique utile dès les premières années. En pratique, beaucoup de programmes recourent à l’écrit, donc ils ne peuvent être proposés qu’à partir du CP. Par ailleurs certains programmes sont adaptés aux jeunes enfants avec une déficience intellectuelle, ou n’ayant pas accès à l’écrit. Ils sont proposés à partir de 5-6 ans.
Pour pouvoir se saisir de la remédiation cognitive, il faut que l’enfant comprenne à quoi elle sert.
En quoi consiste la remédiation cognitive ?
La remédiation cognitive regroupe des outils thérapeutiques destinés à réduire l’impact des difficultés cognitives, que ce soit par restauration ou par compensation, en s’appuyant sur des techniques d’apprentissage. Les exercices qui composent les programmes de remédiation cognitive renforcent ainsi les capacités attentionnelles, mnésiques, exécutives ou visuo-spatiales, ou encore les processus de cognition sociale…
Chaque programme de remédiation cognitive cible un ou plusieurs processus cognitifs, par exemple la flexibilité, la planification, la mémoire ou la reconnaissance des émotions.
En quoi consistent les programmes de remédiation cognitive ?
La remédiation cognitive permet de réduire l’impact des troubles cognitifs grâce à des exercices ludiques qui peuvent être informatisés ou simplement recourir à du papier et des crayons. Il peut aussi s’agir de jeux collectifs. Ces exercices sont regroupés dans des programmes dont le mode d’emploi est appelé « guide du thérapeute »,
Ces programmes qui sont utilisés en pratique courante ont fait l’objet d’études scientifiques ayant montré leur efficacité. Ils fournissent un cadre d’utilisation pour les exercices, ainsi que les résultats qui sont attendus pour un profil de patients donné.
Les programmes sont construits selon des modalités précises en termes de contenu des exercices, de nombre de séances, etc. Par exemple, un programme habituel pour l’adulte dure environ 3 mois avec 2 séances par semaine. Ces modalités sont toutefois très hétérogènes d’un programme à l’autre.
Les exercices de remédiation cognitive ont généralement un caractère ludique qui les rend plaisant. Ils recourent souvent à un format informatisé qui permet d’adapter leur niveau aux besoins du participant. Les programmes sur ordinateur sont moins figés que ceux qui sont proposés sous format papier. Leur difficulté est ajustée au niveau initial de la personne et elle suit sa progression au fil du programme. Il est essentiel de ne pas la mettre en difficulté avec des objectifs trop difficiles, ce qui risquerait la mettre en échec et de la décourager.
Enfin il faut refaire les exercices à la maison. Il est important d’être encadré pour une partie des exercices afin de pouvoir s’en saisir au mieux, mais ces séances en milieu soignant ne suffisent pas. Il faut pouvoir les refaire chez soi pour que les bénéfices puissent se généraliser.
Comment les parents sont-ils associés au programme ?
Les parents peuvent être des co-thérapeutes. Certains programmes sont prévus pour impliquer un « practice partner » (expression proposée par les concepteurs du programme SCIT) qui peut être un parent, un professeur, un professionnel du milieu médico-social, etc. Ce « practice partner » aide le participant à reprendre les exercices réalisés avec un professionnel et à faire en sorte que les bénéfices se transfèrent à la vie quotidienne. Être accompagné de la sorte permet de transférer dans le quotidien des stratégies élaborées en séance pour résoudre les exercices.
Cette généralisation des exercices et leur transfert d’un contexte à l’autre est très important. On peut le faire en s’appuyant sur des exercices similaires ou bien en adaptant leurs principes à des situations quotidiennes. Prenons l’exemple d’un participant qui voudrait travailler dans une librairie alors qu’il présente des difficultés visuo-spatiales. L’un des exercices qui lui a été proposé lors des séances de remédiation cognitive consiste à localiser une petite image mélangée à bien d’autres sur un écran d’ordinateur. Il a appris à la trouver en développant sa propre stratégie – par exemple balayer systématiquement l’écran de manière horizontale ou verticale, plutôt que de regarder dans tous les sens – qu’il pourra reproduire dans son contexte de travail pour trouver le livre demandé.
Quels sont les liens possibles avec l’enseignant ou l’équipe éducative de l’enfant ?
Ces liens sont intéressants à la fin d’un programme de remédiation cognitive, afin que les enseignants puissent aider l’enfant à consolider les stratégies qu’il a acquises. Plus largement, des conseils favorables à l’apprentissage peuvent être donnés aux enseignants par les neuropsychologues ou toute personne qui connaît la remédiation cognitive tels que les psychologues, psychiatres….
Il est intéressant qu’ils aient la possibilité de venir en classe pour donner des conseils pratiques : diminution du nombre de stimuli pour préserver les capacités attentionnelles, structuration des exercices par étapes, structuration de l’espace de travail… Ces adaptation concrètes découlent de la remédiation cognitive. Elles sont nécessaires à connaître pour favoriser l’expression des capacités cognitives et permettre aux élèves de réussir.
Quels les professionnels peuvent proposer un programme de remédiation cognitive ?
Les professionnels qui proposent de la remédiation cognitive, appelés thérapeutes en remédiation cognitive, sont le plus souvent des neuropsychologues, mais il peut aussi s’agir d’infirmiers ou d’ergothérapeutes auxquelles on a transmis les compétences nécessaires grâce à une formation transversale. Plus rarement ce peut être des médecins ou des orthophonistes.
La principale formation à la remédiation cognitive est le Diplôme d’Université en remédiation cognitive de l’Université Lyon 1, créé en 2009.
A côté de cette formation diplômante, il existe aussi des formations plus brèves. Elles ne permettent généralement pas à un non initié d’acquérir toutes les compétences qui sont nécessaires à la pratique de la remédiation cognitive. Pour en savoir plus sur les formations : https://centre-ressource-rehabilitation.org/-formations-
Où les trouver ?
Les thérapeutes en remédiation cognitive exercent à l’hôpital ou en libéral. Ils sont répartis sur tout le territoire français. Nombre d’entre eux appartiennent au réseau de réhabilitation psychosociale et de remédiation cognitive qui est implanté dans toute la France et se consacre aux adultes avec des troubles psychiques sévères.
Ce réseau de réhabilitation psychosociale est organisé par le Centre ressource de réhabilitation psychosociale, qui recense la liste des structures publiques où travaillent les thérapeutes en remédiation cognitive :
https://centre-ressource-rehabilitation.org/-trouver-un-centre-
Chaque centre appartenant à ce réseau est en mesure d’orienter ceux qui en ont besoin vers un professionnel libéral du domaine de son territoire de santé.