La question de la place du diagnostic dans les dispositifs de loisir en milieu non spécialisé est centrale. C’est une problématique qui émane directement du terrain : certains professionnels du loisir expriment le besoin de connaitre le diagnostic des enfants en situation de handicap.
Mais alors, pourquoi cette demande ?
Quels sont les mécanismes qui expliquent cet attachement si fort au diagnostic, information pourtant personnelle qui relève du domaine médical ? Comment souhaitent-ils le mobiliser dans leurs pratiques professionnelles ?
Cet article propose, grâce à une étude de terrain menée en 2018, d’éclaircir ces points à travers l’analyse d’entretiens menés avec des professionnels du loisir.
Pour ce travail, je me suis intéressée au concept d’altérité et à la dimension intersubjective des relations humaines. Je résumerai mes lectures en disant qu’il n’y a de soi que par rapport à un autre. Autrement dit, on se situe toujours par rapport à l’autre.
Dans la rencontre avec l’autre, il y a toujours une tension entre la détection de différences et l’identification de ressemblances : « Je suis de la même espèce mais cet autre est une personne différente de moi ».
De nombreux auteurs ont travaillé sur les émotions provoquées par la rencontre avec le handicap et se rejoignent sur son caractère particulièrement éprouvant. Simone Korff-Sausse parle d’une « inquiétante étrangeté », d’un effet de « miroir brisé » (2009). Ces images découlent directement de nos représentations sociales. Le handicap, dans ce qu’il renvoie au moi, inquiète.
Comment le moi peut-il se voir et accepter de se voir dans cette personne représentée par la déficience, la difficulté, la maladie, l’infirmité, l’incapacité, … ?
Bousculé par la rencontre, ne sachant où se positionner, l’individu est frappé par ce que j’ai appelé un désordre intérieur (rarement conscientisé), lui-même à l’origine d’inquiétudes, de peurs. J’ai fait l’hypothèse que les professionnels du loisir cherchaient, par la connaissance du diagnostic, à se distinguer, à creuser le fossé entre le moi et cet être « si dérangeant » qu’est l’enfant en situation de handicap.
Pour se rassurer, dans un mécanisme de protection de l’identité, certains professionnels mettraient en avant des différences, d’après eux fondamentales, afin de se dissocier de cet autre qui dérange. La principale différence, la plus facile, celle qui saute aux yeux, étant la maladie/déficience incarnée par le diagnostic. Connaitre le diagnostic pour fixer l’autre dans une insurmontable différence.
Le diagnostic devient ici un véritable outil de mise à distance symbolique et peut se concrétiser par un rejet physique de l’enfant. Il permet de justifier des pratiques d’exclusion d’enfants perçus comme « dangereux ». La non-conformité aux normes et le caractère médical de la déficience auquel l’enfant est réduit permettent de le renvoyer au milieu spécialisé ou d’expliquer que son accueil nécessite des aménagements impossibles à réaliser.
Chez certains professionnels du loisir, on retrouve aussi l’idée qu’il existe une posture, un protocole spécifique pour chaque type de handicap. Ces derniers expliquent donc que la connaissance du diagnostic permet de préparer l’accueil (les activités, les autres enfants, l’équipe). Mais c’est un fantasme de croire que le diagnostic peut apporter des réponses dans le cadre d’un accueil de loisir.
Il n’existe pas de formule magique, pas de remède.
Si je vous explique que mon enfant est atteint de gamma-sarcoglycanopathie, qu’il a un syndrome de Wiskott-Aldrich, ou qu’il a des troubles de comportement, qu’est-ce que cela vous dit de lui ? Comment mobiliser cette information pour l’accueil ? Les personnes en situation de handicap ont, comme tout le monde, des envies, des aspirations, des peurs, des préférences, des besoins différents.
L’enjeu pour les professionnels du loisir est d’apprendre à poser les bonnes questions, celles qui seront utiles pour leur pratique.