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- Comment restituer la journée d’un enfant en crèche ?
La restitution de la journée de l’enfant est un instant essentiel tant pour les parents, que pour les professionnels…
Avec l’insistance sur la nécessaire coordination entre professionnels de la petite enfance et parents voire même sur la nécessaire coéducation à mettre en place autour de l’enfant accueilli en crèche, la question de la restitution de la journée de l’enfant aux parents prend un relief particulier.
C’est en effet le moment où le professionnel restitue aux parents les informations nécessaires à sa propre prise en charge de l’enfant à son domicile (A-t-il bien dormi ? Bien mangé ? Quel a été son rythme ? Quel sera probablement son comportement et ses besoins dans la soirée vu la journée qu’il a vécu ?) Mais cela peut être aussi le moment où le professionnel – par-delà une information « physiologique » ou comportementale – calme l’appréhension que le parent a pu ressentir sur le vécu de son enfant loin de lui. Un moment de passage de relais et de lien entre les deux univers que l’enfant accueilli en crèche traverse au quotidien : sa crèche et sa famille. Les professionnels des établissements ont donc fréquemment le souci de ce moment, de cette passation.
Pour autant, les parents en sont-ils satisfaits ? Les informations qui leur sont données leur parlent-elles ? Leur suffisent-elles ? Autrement dit, les efforts de communication des professionnels « parlent-ils » aux parents ? Leur permettent-ils de se saisir du vécu de leur enfant ? Pas vraiment. Si les parents sont globalement satisfaits de la restitution de la journée de l’enfant, cette satisfaction globale est relative. Pour une part, ils se « contentent » de ce que les professionnels leur disent (puisque ce que les professionnels disent n’est pas dépourvu d’intérêt en soi même si ce n’est pas suffisant) même s’ils souhaiteraient d’autres informations. Et cette satisfaction est assez variable avec l’âge de l’enfant, décroissant à mesure que ce dernier grandit.
Voyons ce que les parents nous disent à travers une étude que nous avons menée (entre 2000 et 2002) par questionnaire (1000 réponses obtenues) et par entretiens (50 entretiens en face-à-face) avec les parents usagers des crèches collectives de Seine-Saint-Denis.
Dans le questionnaire : la restitution de la journée, une satisfaction relative.
A travers le questionnaire, 26% des parents usagers des crèches collectives se déclarent « très satisfaits » de l’information sur la journée de l’enfant, 50% sont simplement satisfaits et 24% peu ou pas du tout satisfaits. On notera donc un bon score de satisfaction sur cette question de la restitution de la journée, avec néanmoins près d’un quart des parents insatisfaits. Par contre, la satisfaction sur la restitution de la journée de l’enfant baisse nettement avec l’âge de l’enfant à mesure que l’insatisfaction sur cette même restitution s’accroît.
Qu’est ce qui change avec la croissance de l’enfant qui fait que la restitution de la journée par les professionnels est de moins en moins satisfaisante pour les parents ? Réponse : les centres d’intérêts des parents concernant la journée de leur enfant en crèche. Les parents, même s’ils restent très attentifs aux questions de rythmes et d’alimentation sont de moins en moins intéressés au premier chef par ces éléments à mesure que leur enfant grandit et de plus en plus intéressés par la vie relationnelle (relation avec les autres enfants) et ludique de leur enfant.
Aussi, on observe que plus les parents se déclarent fréquemment intéressés par ces aspects relationnels et ludiques, plus ils se déclarent fréquemment insatisfaits de l’information qui leur est donnée sur la journée de leur enfant. Inversement, plus les parents se déclarent fréquemment intéressés par les questions d’alimentation de sommeil et de rythme, plus ils se déclarent satisfaits de l’information qui leur est restituée sur la journée de leur enfant. Les professionnels de crèche semblent donc – aux yeux d’une partie des parents – se fixer trop particulièrement sur des informations de type « sanitaire » ou physiologique (le corps, l’alimentation, le rythme). Si cette focalisation ne pose pas vraiment problème pour un petit enfant de moins d’un an, les parents donnant également la priorité aux informations concernant son bien être et son développement physique, à mesure que l’enfant grandit, l’écart entre les attentes parentales et les pratiques professionnelles s’accroît.
Dans les entretiens : la restitution de la journée, une des grandes frustrations des parents
Une insatisfaction générale sur la restitution de la journée
Si le questionnaire ne fait apparaître qu’une insatisfaction relative des parents concernant la restitution de la journée de leur enfant, dans les entretiens les parents semblent beaucoup plus tendus, insatisfaits. C’est même un des principaux motifs d’insatisfaction des parents par rapport à l’accueil de leur enfant en crèche. Ainsi les parents qui sont particulièrement friands d’information sont frustrés. Que ce soit les parents qui cherchent – comme ceux que nous avons appelés les « parents exigeants » – à avoir le plus d’informations possibles sur la journée de leur enfant en crèche dans l’optique de contrôler l’action de la crèche, de vérifier que les professionnels stimulent suffisamment leur enfant ; ces parents exigeants donc sont découragés par les réponses souvent trop rapides des professionnels. Les parents qui cherchent surtout à savoir comment les professionnels agissent auprès de leur enfant – comme les parents « élèves » – pour s’en inspirer dans leurs pratiques se heurtent eux aussi à des réponses rapides qui les laissent désorientés.
Que les parents cherchent donc à recueillir le vécu de leur enfant, à « contrôler » l’action de la crèche en s’assurant que les professionnels ont bien réalisé suffisamment d’activités avec leur enfant ou qu’ils cherchent à s’inspirer des professionnels pour développer leurs propres activités avec leurs enfants, ils sont frustrés par les retours des professionnels. Frustrés parce que ces retours sont trop rapides :
Pourquoi vous ne posez pas la question qui vous intéresse ?
Ben comme elle dit que tout c’est très bien passé c’est vrai que je ne vais pas au-delà quoi, je ne vais pas plus loin. A chaque fois tout est très bien, c’est genre il n’y a rien à dire quoi… donc il n’y a rien à dire donc au revoir, on ne va pas insister quoi. Tout va très bien, donc je prends la petite et on y va.
Les freins à la demande d’information
Le mélange de réticence (ne pas informer les parents spontanément sur la journée de leur enfant) et de « rétention » (ne pas dire grand chose de la journée de l’enfant) que nombre de parents perçoivent chez les professionnels est d’autant plus frustrant pour ces derniers qu’il les place dans une position délicate. En effet, nombre de parents – et même les plus insistants – hésitent au bout d’un moment à relancer les professionnels, à insister auprès d’eux pour obtenir des informations sur la journée de leur enfant. Pour plusieurs raisons. Premièrement, par crainte de paraître un peu trop curieux, de faire de l’ingérence dans le travail des professionnels. Deuxièmement, par crainte de surcharger les professionnels. Les parents considèrent alors que le travail auprès des enfants est très exigeant et que les professionnelles font ce qu’elles peuvent sans qu’il soit nécessaire de leur « en rajouter » avec des demandes d’informations. Troisièmement, par lassitude des réponses trop courtes, lapidaires des professionnels. Les parents finissent par entendre, derrière la répétition à l’identique des mêmes informations (le rythme de la journée, tout s’est bien passé etc…) une fin de non recevoir.
Les petites stratégies pour récupérer de l’information
Frustrés par les retours des professionnels, hésitants à se montrer plus insistants dans leurs demandes, les parents n’en restent pas moins désireux de mieux savoir ce que vit leur enfant à la crèche. Aussi, recourent-ils à quelques petites stratégies pour essayer d’obtenir « par la bande » les informations qu’ils cherchent tant. Ainsi, certains parents essaient d’utiliser des « petites accroches » avec les professionnels, des traces d’activités faites avec les enfants qui permettent d’interroger les professionnels sur ce qu’elles ont fait avec les enfants dans la journée sans avoir l’air de trop s’immiscer :
« Je demande si ça a été. Si je vois des trucs, si je vois des feuilles passer je dis tiens ils ont dessinés ou…je ne demande pas systématiquement ce qu’ils ont fait »
Certains parents « profitent » des questions posées par les autres parents afin d’obtenir les informations qu’ils cherchent (sans oser les demander) sur le quotidien des enfants. D’autres parents, enfin, repèrent la professionnelle la plus loquace de l’équipe et s’efforce d’avoir un retour de sa part dans la semaine.
En conclusion…
Comment restituer la journée ordinaire d’un enfant ordinaire
A travers les résultats de cette étude, les professionnels ne semblent donc pas complètement au rendez-vous de la communication et de la coéducation (sous l’angle de la transmission d’information) avec les parents. Et ce, pour deux raisons majeures signalées en introduction : premièrement les professionnels semblent encore trop pris dans un paradigme sanitaire, ce qui les amène à se fixer sur une information physiologique sur l’enfant en livrant peu d’informations sur le vécu relationnel (le fameux « ça va »). Deuxièmement, une partie des professionnels laissent aux parents le soin de réaliser avec eux le travail d’articulation en attendant leur question. Ils considèrent ainsi qu’ils sont des professionnels de la petite enfance disponibles pour d’éventuelles questions, mais pas des professionnels de l’accueil de la petite enfance ayant à charge de passer le relais aux parents le soir. Une partie de la réticence des professionnels peut s’expliquer, selon nous, par l’indécision sur ce qu’il y a à transmettre de la journée de l’enfant aux parents.
Si les parents souhaitent savoir des choses au-delà des informations « de base » (rythme, sommeil, alimentation) qu’est ce que cela peut être ?
Est-ce qu’il faut décrire toute la journée. Travail harassant tant pour les professionnels que pour nombre de parents… Et c’est là que se place la réflexion sur « comment restituer la journée ordinaire d’un enfant ordinaire en crèche ? ». Parce qu’en effet, il n’y a rien d’extraordinaire dans ces journées, mais nombre de parents souhaitent pouvoir se saisir du vécu de leur enfant. Et pour pouvoir restituer ce vécu, il ne faut pas produire une fiche d’informations médicales, pas plus qu’un récit exhaustif mais mettre en mot ce qu’est la vie d’un jeune enfant dans un collectif d’enfants (avec des relations et des règles de vie) avec un collectif d’adultes (avec des affinités diverses).
Bref, il faut que les professionnels sachent rendre compte de l’originalité de leur propre cadre d’activité auprès des enfants. C’est à dire, encore une fois, être des professionnels de l’accueil de la petite enfance.
Ce texte renvoie à l’article « Comment restituer la journée ordinaire d’un enfant en crèche » paru dans la revue Métiers de la petite enfance n°28 , avril, et à la journée d’étude Petite enfance et handicap de l’association Une Souris Verte, novembre 2013.
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