Je suis devenue grand-mère, il y a bientôt 4 ans, maintenant de 3 petits-enfants, et je découvre que ce n’est pas si simple que ça à vivre.
Peut-être que les parents dont c’est le dernier qui a un handicap connaissent plus tôt ces émotions mêlées, où l’émerveillement se teinte de souffrance. Géraldine était la dernière et je n’ai donc découvert que plus tard ce tiraillement.
Au début, quand le petit est tout petit, c’est juste le bonheur absolu, l’immense joie de voir ce bébé découvrir le monde. Géraldine était heureuse et fière, elle devenait une tante, d’un petit, elle s’en occupait, jouait avec elle, était la grande.
Mais voilà que ce petit a grandi vite, très vite, et voilà que Lou a dépassé sa tante. C’est arrivé l’été des deux ans de Lou. Lou a commencé à parler, si vite à parler. Et Géraldine ne parlait pas.
Lou était fabuleuse, est toujours fabuleuse, elle m’aspirait, me fascinait, et j’aurais pu passer mes journées à la regarder vivre et grandir. J’avais oublié comme c’est fabuleux un bébé qui grandit, on voit les progrès chaque seconde, on voit la pensée se construire de jour en jour. C’est un miracle du quotidien.
J’étais écartelée entre ma fille, si lente, si fragile, si vulnérable et ma petite-fille, tornade de vie.
Géraldine aussi a commencé à souffrir de la différence, elle est handicapée certes, mais pas bête ! et je la voyais en douce essayer de faire ce qui avait déclenché des cris d’admiration de la famille : comme de fermer une boucle de sac à dos ! Elle se cachait, essayait et n’y arrivait pas…
C’était douloureux, en vrai. J’ai découvert la fidélité absolue due à ma fille. Je me suis réengagée pour la vie avec elle. Mais ce n’était pas forcément si facile.
Il y a bien sûr des moments de joies intenses, des parties de cache-cache, des fous-rires, des baignades, des livres partagés, des chansons. Il existe un réel amour de Lou pour sa tante GG ; elle la cherche, veut la voir, veut « l’inviter » chez elle.
Il y a eu aussi l’amusement de voir Lou se lancer dans le langage et faire des erreurs, erreurs qu’avait faites Géraldine et que j’avais attribué au handicap, comme de se tromper dans la nomination des choses. Lou a nommé les cerises du signe »merci », et d’autres perles, qui m’avaient paniquée quand c’était ma fille qui se trompait.
Il y a eu l’émotion de voir mes enfants signer avec Lou pour lui offrir le même mode de communication que sa tante.
Heureusement pour Géraldine, d’autres petits enfants sont nés, et elle a de nouveau été la grande. La tante d’Aimé et de Mahé, pour qui elle est de nouveau GG avec qui on joue au loup et à cache-cache, avec qui on rit si bien.
Maintenant, elle est distancée par Lou, qui a 4 ans, et ce ne lui est plus aussi douloureux, à moi non plus. Le cap le plus difficile est peut-être celui où le petit dépasse le grand, et chez nous, c’est arrivé bien vite !
Géraldine est parfois encore tiraillée, entre son immense amour pour sa nièce, vrai et profond, et la prise de conscience douloureuse de son handicap, elle trouve alors que Lou parle trop, qu’elle parle trop vite pour ne rien dire. Elle se réfugie dans sa chambre, s’isole. Pour mieux revenir ensuite.
On tient à rappeler les termes, tante, nièce, pour que la place dans la généalogie soit marquée. Même si Lou parle mieux, sera vite plus grande en taille, elle est de la génération suivante. Ça n’a pas l’air important, mais ça peut aider Géraldine à savoir où elle est.
Autre difficulté : les questions qui arrivent aussi, « pourquoi Géraldine ne parle pas ? pourquoi elle bave ? pourquoi elle ne va pas vite ? » Il n’y a pas encore eu de questions sur l’apparence physique. Je les redoute. Ce sont de simples questions d’enfants, naturelles, mais là, ces enfants-là sont mes petits enfants et je ne suis pas neutre .
Un événement récent m’a beaucoup parlé.
J’ai eu récemment un bilan de Géraldine à l’hôpital, bilan annuel, et le médecin m’a demandé comment elle marchait. Je lui ai répondu « bien, on se promène, on fait des petites balades, ça va. » Le médecin m’a regardée, étonnée de ma réponse.( encore une mère dans le déni ???) Et tout à coup, j’ai pensé à ma petite fille Lou, qui galope sur les chemins, qui saute les cailloux, qui monte les pentes raides, et j’ai dit alors au médecin « non, Géraldine ne marche pas bien. » Elle marche bien sur des chemins plats, larges où on peut lui donner la main, elle marche bien si on va à son pas. Mais j’avais oublié ce que marcher veut dire pour un enfant. J’avais oublié de courir dans les pentes, de prendre des sentiers étroits et pleins de cailloux.