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- Vous avez dit aidant ???
Je suis la mère d’une jeune femme adulte qui a un handicap, et ce concept d’aidant, qui émerge, jusqu’à devenir une stratégie gouvernementale, jusqu’à avoir une journée par an rien que pour nous… est bien complexe pour moi, en tant que parent. Des fois je ne le supporte pas, des fois je me dis que c’est bien quand même qu’il existe !! …
Le mot « aidant » a été d’abord créé pour parler des enfants adultes s’occupant de leur parent très âgé. Et puis il a englobé tout le monde dans un grand sac fourre-tout.
Ce mot ne peut pas être utilisé comme un nom, pas plus que les mots « handicapé » ou « vieux », ne peuvent être utilisés comme un nom.
Le mot aidant est un adjectif : une personne aidante. Un parent aidant, une sœur aidante, un enfant aidant. Peut-être qu’un jour, on arrivera à dire « un parent en situation d’aidant » ; tant il n’est pas possible de réduire qui que ce soit à sa fonction d’aidant.
Une fonction ?
Bien sûr parler d’aide et d’aidants a le mérite de rendre visible les invisibles parents d’enfants ou d’adultes en situation de handicap. Le cerveau humain ne percevant ou ne voyant que ce qu’il peut nommer, il était fondamental de nous nommer pour nous rendre visibles. Par exemple, si vous ne les connaissez pas les morilles, si vous ne savez pas les nommer, alors vous ne les voyez pas dans la forêt ! Il faut nommer pour voir.
Dans le champ de la petite enfance, des parents en arrivent à ne plus se voir comme parent et à ne se voir que comme aidant. Fonction à laquelle on les a assignés. On parle de nous car on a besoin de nous ! et si on pense à nous, c’est qu’on a vraiment beaucoup besoin de nous !
La spécificité du regard sur les parents -aidants explique un peu qu’on les voit moins que les aidants des personnes âgées.
Tous les parents s’occupent de leur enfant, c’est considéré comme normal. Donc, par extension, c’est normal pour un parent de s’occuper de son enfant qui a un handicap. C’est dans le cours des choses. Alors que s’occuper de son parent devenu dépendant n’est pas dans le cours des choses, ce n’est pas « normal », on dit même que c’est un rapport inversé. De plus, nous sommes tous concernés par le grand âge, pour nos parents, ou pour nous. A contrario, le handicap, quand on est passés à travers… on se dit « ouf », et on passe vite…
Dans l’attribution de ces aides, qu’est ce qui est normal, qu’est ce qui ne l’est pas ?. C’est ainsi que la première évaluation pour la PCH de ma fille ne m’avait accordé que 30 mn pour le bain, sans tenir compte des autres heures de la journée, largement plus compliquées ! Qu’est ce qui est « normal » dans le quotidien avec un enfant handicapé, qu’est ce qui ne l’est pas ?
C’est vrai que l’AEEH et la PCH sont une vraie avancée. Des familles sont réellement soulagées de frais auparavant à leur charge et hésitent moins à sa faire aider.
Même si la PCH aide humaine ne prend pas du tout en compte l’entretien de la maison, qui est pourtant terriblement lourd quand on s’occupe d’une enfant/personne qui a besoin d’une surveillance de tout instant.
Dans le temps…
La situation d’être parents d’enfant handicapé peut commencer dès la naissance et se terminer très tard dans la vie. C’est beaucoup plus long que d’être aidant de son parent dépendant. Une amie disait que si on multipliait le nombre d’années d’« aidance » par notre nombre, le résultat serait supérieur à celui des aidants des personnes âgées, plus nombreux moins longtemps !
Cette durée dit l’impossibilité de poser ses valises : toute orientation est précaire et limitée. Entrer à l’école, sortir de l’école, entrer en IME, rester en IME, ne pas se faire exclure de l’IME, trouver la bonne orientation, avoir une place, ne pas se faire éjecter de sa place… la peur permanente, l’insécurité permanente.
« L’aidé » ?
Je n’aime pas le mot aidant car son pendant est aidé. Mot que j’ai déjà entendu, que j’ai déjà lu… « c’est qui ton aidé ? » « c’est ma fille ». Ce n’est pas possible.
Cette relation qui ne serait pas réciproque, qui serait verticale entraîne des situations violentes parfois ! récemment on a appris que notre fille allait peut-être avoir la place qu’on attendait depuis 10 ans, et une amie m’a dit toute guillerette : « vous devez être fous de joie ! » Si je ne suis que l’aidante de ma fille, je suis heureuse de m’en débarrasser enfin ! si je suis ma mère-aidante, je suis bouleversée, je suis triste, j’ai peur… même si je sais que c’est bien. Ce mot peut faire oublier l’amour !
Le mot aidant irait pour tout le monde, taille unique de mot, plaqué sur toutes les situations. tout le monde sous la même étiquette ! Un bébé ? Un adulte ? A l’école ? En établissement ? Sans handicap intellectuel ? Autiste ? Taille unique de mot pour tous les parents aussi, en couple ou solo, précaires, avec un métier ou au chômage, jeunes ou vieux…mot qui masque les différences.
Du répit ou l’accueil de tous ?
Bien sûr, quand on pense à nous, on nous cherche du répit, nécessaire répit. Mais si nos enfants avaient l’accompagnement dont ils ont besoin, un temps plein d’école, d’IME, de SAJ. Si les vacances n’étaient pas un vrai casse-tête… on n’aurait pas autant besoin de répit ! Et regardez comme c’est complexe : Une maman dont le fils est en IME pour enfants autistes, a besoin de 14 heures par semaine de garde pour pouvoir travailler. Elle a été refusée par une association qui propose du répit ; on lui a dit : « vous ne cherchez pas de répit, mais un relais », donc, circulez…
Est-ce que la passion récente pour les aidants est là pour cacher le manque de places, est-ce pour faire des économies qu’on parle de nous ? Cette évolution vers l’école inclusive, ne va-t-elle pas encore plus nous enfermer dans cette fonction d’aidant… Et une maman me disait : « dis leur de ne plus nous dire prenez soin de vous ». Ce n’est pas convenable de dire ça à une maman dont l’enfant n’a pas la prise en charge dont il a besoin.
Des parents-aidants
Nous voulons ne plus être invisibles, que nos collègues de travail connaissent notre vie, sans avoir à se cacher des contorsions pour pouvoir travailler ; on veut que soit reconnu notre besoin de nous former, sans mendier ; on veut être informés de nos droits, sans les découvrir par hasard.
Alors… oui, nous parents nous sommes précieux et indispensables. Oui, notre vie est compliquée et nous avons besoin de soutien. Oui, c’est compliqué pour nous d’avoir toutes ces casquettes à gérer… mais nous ne sommes pas des « aidants » nous sommes les parents-aidants de notre enfant.
Etre parent d’un adulte en situation de handicap » – ( Editions Erès, mai 2023)
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