On m’avait dit que les deux enfants mangeaient sans problème.
Pour Sarah pourtant, c’était tout un univers ! Elle n’ouvrait pas la bouche pour la cuillère, tout contact avec un corps étranger l’effrayait.
Je me suis sentie un peu désarçonnée face à cette réalité, surtout que je n’avais pas été avertie. J’ai repris contact avec la pouponnière et une personne m’a alors confirmé cette difficulté. Je continuais d’informer l’éducatrice de Sarah de la situation en même temps que je la découvrais…
Il m’a fallu trouver des idées : je lui parlais beaucoup, je restais près d’elle sans la toucher, je lui disais que j’attendrai son accord, que je ne la forcerai à rien, sans jamais la brusquer.
Dans ces moments-là, son regard se posait comme si elle prêtait attention à mes paroles, puis elle repartait dans “son monde”.
Lorsque je cuisinais, Sarah restait à mes côtés dans le parc. Debout, elle se déplaçait de gauche à droite, ses mains effleurant les contours du parc.
Je préparais divers aliments que je lui présentais sur une assiette, en vain. Sa bouche restait fermée, son visage inquiet. J’ai commencé par éviter les légumes très odorants. C’était un peu plus paisible, mais toujours rien, elle effleurait l’assiette et se reculait, l’air effrayé.
Puis j’ai essayé d’acheter des bols de couleurs pastels, en plastique « chaud ». La première fois que je lui ai présenté un bol, Sarah n’a pas reculé, étonnamment. Elle s’est même approchée et a délicatement caressé le contour du bol mais… pas plus. Ensuite, j’ai tenté de lui présenter une cuillère en métal à café…rien. Puis une cuillère en plastique de tout-petit…toujours rien.
Enfin, j’ai essayé avec une cuillère de poupon, une toute petite petite cuillère. J’ai laissé Sarah aussi libre de ses mouvements que possible, debout, sans même un bavoir qui risquait de la contraindre. Et là, du bout de ses doigts, elle s’est mise à caresser le bol, dans de petits mouvements circulaires.
Je continuais de lui décrire ce que je préparais, elle semblait écouter mes paroles, son regard tourné vers ma voix.
Je lui ai alors présenté la toute petite petite cuillère. Et là, à ma grande stupéfaction, elle a ouvert la bouche, juste assez pour la cuillère qu’elle a accepté pour la première fois ! C’était notre première victoire, et en moi un grand bonheur a jailli, en même temps qu’un grand soulagement de pouvoir passer du biberon au repas.