Poupées russes
20.05.2019 Témoignages Temps de lecture : 10 min

Notre enfant, notre famille, ton atypie, le combat de notre vie.

Partie 2. Parfois,  je suis triste, lasse, j’ai peur de demain, d’après demain et du quotidien.  J’ai peur pour toi, peur pour nous, peur de l’échec de la médecine et de notre sentiment d’impuissance, à pouvoir te soulager, et à t’accompagner vers une vie épanouie.

Tes tendres années te sont volées par ces foutus troubles et leurs boulets ! Médecins, hôpitaux, examens, traitements … tu en connais déjà tout un rayon !

Le diagnostic est tombé, enfin presque !  Si petit est déjà tant observé. Tu en soulèves des énigmes, tu en questionnes des spécialistes !!!!

A toi, mon soldat courageux, ma fierté de te voir évoluer. Déjà tellement de tout, pour une si petite personne. Bientôt, tu souffleras tes quatre bougies. Les quatre plus belles, mais aussi éprouvantes années de notre vie. Petite bombe à retardement… Tellement d’agitations, de crises de colères qui te font mal, nous blesse et nous déchirent toujours un peu plus le cœur. Tellement de répétitions, d’hermétisme, d’angoisse, de « maman je me sens mal, maman je me sens triste, maman j’ai une petite boule là (à l’estomac) ». Trop de nuits entrecoupées, de réveils aux aurores, de siestes écourtées. Pire que le TGV dans tes mouvements, de chutes non évitées, tant de pensées à t’y perdre, à t’en essouffler. Je suis toujours là pour toi, h24, 7j/7, cherchant à te porter, te soulager, me renseigner pour mieux de seconder. J’ai appris que pour arriver à ce dont tu avais besoin, il fallait lutter, solliciter, répéter aux professionnels qui te suivent, là où on s’est arrêté, ce que l’on avait évoqué. Avoir un cerveau pour moi, un pour toi dans tes moments d’errances, un pour papa (probable TDA !), un pour le quotidien, mes amies, mes emmerdes et j’en passe…  De quoi en perdre le nord ! « Oh oui, ça m’arrive souvent depuis quelques temps. Surchauffe du circuit ! Un cours de yoga, un thé et ca repart ! »

Parler c’est bien, mais AGIR c’est mieux. Tu es encore petit,  Nous avons la chance que ton cerveau ait encore de la plasticité. Alors go, go, go ! On doit tout tenter, pas pour te guérir, on le sait ! Mais pour te donner un maximum de chance, de vivre mieux avec, et surtout plus heureux. Parce qu’il n’y a rien de pire, que de t’entendre nous dire tes malaises.

Mais, qu’est-ce qu’ il a au juste, cet enfant ?

J’ai accouché d’un petit paquet, avec plein de surprises. Toi petit cœur, tes acolytes et ton compagnon presque identifié ! J’ai nommé, Trouble de l’INTEGRATION SENSORIELLE ; Trouble de la REGULATION EMOTIONNELLE ; Futur TDAH en devenir. Si petit mais déjà si chahuté ! Hyperactivité psychique, physique, troubles attentionnels. Eh oui !!! Ils font partie de ta vie, tels des poupées russes.

Tu feras de ta vie d’adulte, du mieux que tu pourras, papa et moi, en sommes convaincus. Notre but ? Que vivre au milieu de nous, les ‘neuro typiques’, te soit plus doux. Parfois, je manque d’oxygène, de force pour remonter à la surface, je lutte pour ne pas me noyer dans tes appels incessants, tes demandes de réconforts (soit dit en passant, jamais rassasiées). Et que dire de tes  nombreuses, et très recherchées bêtises et mises en danger, qu’il me faut surveiller ! Bref raccourci de tes petits soucis.

Différent mais tellement attachant.

En écrivant ses mots, cela me fait penser, à un super spectacle que j’ai vu la semaine dernière, « Maman craque », de Caroline TERRAL. Comme elle le dit si joliment, tu es « attachiant » ! Tellement usant, mais tellement attendrissant ! Tu parles si bien, tu réfléchis trop bien. Ta logique ? Pas la nôtre. Ta finesse d’observation ? Trop affutée.

Nos comportements et les tiens, comment les décoder ? On s’apprend mutuellement. Tu nous fais découvrir un peu plus chaque jour le mot atypie. Tu nous épuises, mais ta singularité nous apporte tellement. Ma vie n’a jamais eu autant de couleurs, d’énergies, de richesse ! Tu nous transformes, nous élèves, nous demandes de constantes adaptations. Tu évolues, et nous pousses toujours plus à nous dépasser. Pour toi, pour tes boulets, pour tout l’amour que tu nous apporte, et toute la joie qui fait danser nos vies, on te remercie.

Tu sais Perdreau, on est humain, on craque parfois, on s’accroche au bastingage ! On ne peut pas changer nos batteries, à mon grand regret !

Ça serait si facile : on appellerait Whize de Oui Oui, et en deux tours de clé à molette, ça serait terminé. Mais ça ne marche pas comme ça ! On s’est battu chéri, on ne t’a jamais lâché. On se bat encore et toujours avec toi, contre toi, avec tous ceux qui t’aiment et t’entourent. Avec tes soignants, qui sont devenus, bien plus que de simples professionnels à nos côtés. Avec le temps ? Un lien, qui ne s’explique que par l’expérience, se tisse et ils deviennent partie intégrante de nos quotidiens. On s’appelle par nos prénoms, on a nos numéros perso. C’est ça aussi l’atypie ! Des relations qu’on n’aurait pas imaginées, de belles rencontres qu’on n’aurait pas provoquées.

Déjà un an, que j’ai dû être arrêtée au travail. Que ce qu’on appelle, l’épuisement maternel, m’est tombé sur le coin du nez !
Je me suis obstinée, j’ai avancé tête baissée, « Matthew, boulot, Matthew, dodo ». Et paf… « Tu l’as pas vu arriver celle-là! La DEPRESSION. Ce gros mot, qui ne touche que les autres, c’est bien connu ! Tu en vois tous les jours dans ton service, toi tu es forte, tu as l’énergie, pour toi petit chéri, maman tiendra… . INVINCIBLE, quel doux mot rigolo ! »  Echo amer, j’ai glissé de l’autre côté du miroir, moi l’infirmière, working girl, nurse girl, baby mother et j’en passe.  Je savais que c’était très dur la dépression, mais on ne comprend vraiment que quand on expérimente soi-même. On imagine, mais imaginer n’est rien dans la complexité, et rien dans les sensations de mal être qu’elle vous fait côtoyer !

Accepter, accepter et prendre soin de soi, avoir confiance en moi, m’aimer… 

Ou comment la vie peut basculer grâce à un bébé (nb, pas à cause, car cette vie est un cadeau pour moi) ! De l’autre côté du miroir, assise à ce bureau, moi, en pleurs, et à bout de tous les rouleaux de papier wc du rayon du supermarché ! Je n’y arrive plus, je suis arrivée à mes limites. J’ai quel choix ? Lever la tête et avancer, tenter de me raisonner et de me reposer ! Bon… REPOSER ce n’est pas gagné ! Pour continuer à prendre soin de toi et rester disponible, je dois accepter de m’occuper de MOI. « Oh quel mot effrayant ». Le vide, l’angoisse. J’ai toujours pris soin des autres, un genre de Mère Theresa, en millions de fois moins admirable !! Mais penser à moi ? « Connais pas ! »

Psychiatre, Psychologue, pédopsy, psychologue du MPEA, RDV, réflexions, pleurs, des bas mais aussi des hauts. Des espoirs, des déceptions, deux pas en avant trois en arrière. Mon état fluctue avec toi. Peu de plateaux, pas de récupérations. Un marathon sans étapes. Juste de l’eau, des barres protéinées pour continuer de courir ! Bientôt 1 ans de traitements. Antidépresseurs, anxiolytiques par intermittence, bouée de secours, quand tu vas trop mal et que je n’ai plus de filet assez large pour te supporter. Bientôt 4 ans ; qu’est-ce que j’ai changé et évolué. Une thérapie imposée, des limites à repousser, des ressources insoupçonnées. Un gros travail d’introspection, acquérir de la patience, me cajoler, entendre raisonner mes envies, te sentir vibrer, avoir de l’empathie mais ne pas me laisser dévorer…. Travailler ma culpabilité maladive, accepter de te laisser sans me désigner « comme une mauvaise mère et me flageller », accepter d’être honnête avec moi-même et me dire à voix haute que « oui, c’est vrai je suis égoïste une fois de temps en temps. Tu n’es pas là, et oui c’est chouette ! Je souffle un peu. J’accepte le REPIS. En gros oui, des moments seule  ou avec papa c’est le kiff ! ». Sauter le pas, c’est douloureux, difficile, mais avec le temps, on s’y fait comme à tout, et ça se passe de mieux en mieux.

Aujourd’hui marque un tournant, et je termine cet article. Je ne crois pas au hasard. Encore une fois, il me le prouve !  Notre histoire continue, mais s’ouvre un nouveau chapitre de ta vie. Six mois d’attente, et dans la boite aux lettres le graal. Le précieux sésame pour toi ! Pas de joie déplacée, pas de champagne, mais juste l’émotion, de se dire qu’enfin, on s’est battue, on nous a souvent découragé, décrédibilisé, mais on a rien lâché!

Ce 15 avril 2019, Matthew, 3 ans et 10 mois, tu es reconnu comme enfant en situation de handicap, AEEH catégorie 3/6. Tu l’as ton droit à une AVS ! Même si nous savons que c’est juste l’arbre qui cache la forêt !!! Tellement peu, mal formés, et peu payés ! Alors maintenant on va juste prier !!! Il faudra encore s’armer de patience et se faire remarquer encore ! Mais ce n’est pas grave. Cette nouvelle, recharge un peu, notre compteur à courage ! Nous pourrons un peu souffler, avec des épines en moins sous les pieds. Etre en partie aidés pour financer, tout ce qui n’est pas remboursé et dont tu ne peux te passer. Pour soulager tous les sacrifices que l’on fait (suivi pédopsychiatrie, hôpital de jour, accueil familial thérapeutique, psychomotricité, équithérapie, adaptations de tes environnements familiaux, scolaire et sociaux).

Je souris en t’écrivant ces mots. Je souris, émue, en me disant qu’un jour, tu voleras je l’espère de tes propres ailes, que papa et moi tentons de t’aider à déployer. Une boucle se boucle. Le combat va durer, mais à ce jour, je peux dire, que ça y est ! Tout ce qui était en notre pouvoir, de mettre en place pour t’accompagner, a été fait.

Malgré cela, tellement de colère contre je ne sais quoi ou qui, de pourquoi toi, de pourquoi nous ? Maudire la vie, puis se dire, « on n’est pas si mal » ! Penser, relativiser, te regarder, t’embrasser, te câliner, t’entendre rire et te voir grandir. Avoir cette chance de vieillir à tes cotés. Etre fier de toi, de tes progrès, te soutenir dans tes échecs, se décourager et se rattraper, apprendre à se réjouir des petites victoires qui te font avancer. Ne jamais rien regretter…

Retour aux articles de la rubrique « Découverte, annonce du handicap »
Aller au contenu principal