Dans son livre Marie-Hélène Boucand aborde la méconnaissance des maladies rares, l’importance de la reconnaissance médicale, sociale,… et le déni de reconnaissance.
Dans la situation particulière qui nous préoccupe, nous pouvons pointer que la question de la connaissance précède celle de la reconnaissance si l’on considère que la maladie en cause implique d’être connue pour pouvoir être reconnue. Mais, au-delà de cette seule donnée c’est bien la personne qui en est porteuse qui demande à être reconnue à la fois comme sujet et comme sujet malade. L’une et l’autre ne vont pas sans l’autre.
Si le sujet n’est reconnu que comme malade, il peut même disparaître en tant que sujet ; à l’inverse, s‘il n’y a que la personne qui est reconnue c’est la maladie qui devient inexistante. C’est précisément cet enjeu de reconnaissance qui peut éclairer la difficulté de la relation à l’autre, évoquée dans les entretiens, quand rien ne se voit, quand la maladie rare ne se manifeste pas extérieurement.
Dans cette dynamique, Honneth analyse ce qu’il identifie comme « le mépris de la reconnaissance » « […] caractérisé par un comportement qui est injuste en ce que, avant même d’atteindre les sujets dans leur liberté d’action ou de leur porter un préjudice matériel, il les blesse dans l’idée positive qu’ils ont pu acquérir d’eux-mêmes dans l’échange intersubjectif ». Dans la situation qui nous intéresse, le déni de reconnaissance peut concerner les maladies elles-mêmes qui, diagnostiquées avec parfois des dizaines d’années de retard conduisent à des prises en charge parfois totalement inadaptées (par exemple les multiples chirurgies effectuées sur les articulations des malades avec un syndrome d’Ehlers-Danlos, chirurgies qui apparaîtront totalement contre-indiquées lorsque le diagnostic sera connu).
Mais, le déni concerne aussi les malades porteurs de ces maladies, au risque du « mépris » qui « constitue une atteinte qui menace de ruiner l’identité de la personne tout entière ».
Dès la naissance, nous sommes dans un monde inter-dépendant, inter-relationnel, inter-humain, donc social. C’est ce déni de reconnaissance du sujet, comme membre vivant au sein de notre humanité, qui est probablement la non-reconnaissance la plus violente. En effet, deux formes de Maladie vasculaire rare, associant une tétraplégie complète, seuls les yeux et les paupières sont mobiles, la parole est impossible mais le patient à toute sa conscience et communique par les yeux. En effet, deux formes de négation de l’autre existant peuvent être repérées.
La première est celle qui nie l’existence même de la personne. Elle a été douloureusement évoquée par Natacha lorsqu’à sa naissance les médecins ont conseillé à ses parents de l’oublier et d’investir sur ses autres frères et soeurs. C’est bien la reconnaissance première de l’existence de l’être lui-même qui est alors niée. C’est la négation, le refus de la reconnaissance fondamentale de l’autre comme être de la communauté humaine au vu des déformations constatées à la naissance et qui semblaient majeures. Paradoxalement, nous pouvons nous demander si cette injonction faite aux parents – et heureusement non suivie – par le corps médical de l’époque (1960) ne l’a pas été par souci de « bien-faire », pour protéger la cellule familiale non touchée. Mais quelle extrême violence et quel pouvoir !
Une autre situation est la reconnaissance d’autrui comme sujet avec un handicap, dont on peut se moquer. La mère de Clotilde évoque, à ce propos, les réflexions entendues par sa fille. Là, c’est bien Clotilde vue avec sa différence qui est niée comme être semblable à ceux, qui, par leurs remarques, l’excluent. Sa différence physique entraîne des conséquences négatives très blessantes et injustes. « Une blessure physique devient une injustice morale quand la personne concernée est forcée d’y voir l’effet d’une action par laquelle elle se trouve intentionnellement méprisée dans un aspect essentiel de son bien-être »Honneth A., Article Reconnaissance, in Canto-Sperber M. [dir.], Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, Paris, vol 2, Presses Universitaires de France, 2004, p. 1640-1647.. Nous comprenons facilement que Clotilde ait pu être blessée dans sa relation à elle-même, et que tout un travail psychique personnel ait été nécessaire, pour qu’elle acquière l’attitude d’indifférence actuelle face à des remarques de ce genre.
Les deux situations évoquées relèvent de deux niveaux de non-reconnaissance différenciés par A. Smith, sensible à cette dualité : « Etre oublié par les hommes ou en être désapprouvé sont des choses entièrement différentes »Smith A;, Théorie des sentiments moraux, Paris, Éditions d’aujourd’hui, 1982, p. 50-51.. Les champs évoqués lors de ces vécus d’exclusion ouvrent très largement les formes expressives signifiant la non-reconnaissance d’autrui comme malade ou avec un handicap : la parole y joue un rôle tout aussi important que les regards. Cette non-reconnaissance s’exprime aussi fortement par les refus de reconnaissance sur le plan social et administratif.
La dimension sociale de la reconnaissance nous conduit à souligner un point de l’équité éthique qui devrait présider à l’accès à tous aux mêmes droits en matière de santé et de handicap, sans être discriminé par la rareté de la maladie.
Enfin, ce déni de reconnaissance peut s’éprouver de soi-même à soi-même si les sentiments de malêtre, de déni de soi ou d’injustice dominent le ressenti psychologique de la personne malade. Nous percevons, alors, l’importance majeure de la reconnaissance d’autrui, de l’accueil inconditionnel de soi par autrui qui signifie « tu as du prix à mes yeux et je t’aime » selon la belle formule bibliqueBible de Jérusalem, Ancien Testament, Isaïe 43, 4.. Les récits qui nous ont été relatés de jugements répétés à l’endroit des malades dans leur période d’errance diagnostique sont des illustrations d’atteinte grave à l’encontre de l’estime de soi, d’autant plus indispensable que la personne est en grande situation de vulnérabilité.