Comment vivre heureux avec un enfant différent?

Comment vivre heureux avec un enfant différent?
06.11.2018 Témoignages Temps de lecture : 5 min

« Nous ne sommes pas réveillés un jour en découvrant que nous étions à nouveau heureux malgré le handicap. Pris dans le feu de l’action, nous avons longtemps perdu nos capacités de prise de recul. Par petites touches, la légèreté est revenue… »


Notre expérience de parents

« La vie, ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie. » Sénèque

L’acceptation est le portail de la résilience.

Dans notre famille, l’acceptation est arrivée pour chacun à son rythme. Personnellement je dirais que la demande de l’allocation pour les personnes handicapées et l’entrée en IME en ont été les clés d’entrée. 2012 marque pour moi un nouveau départ : Julia est prise en charge de façon régulière et nous avons trouvé ensemble un rythme.

Pour Xavier, mon époux, l’acceptation a été plus lente à venir. Je me rappelle d’un jour où j’ai retrouvé la nourrice de Julia bouleversée après une discussion avec Xavier. Elle avait été touchée par sa détresse alors qu’il parlait de la visite d’une personne de la MDPH pour évaluer les besoins d’accompagnement de Julia. L’angoisse et la compassion de son interlocutrice lui avaient fait soudain réaliser la lourdeur du handicap de sa fille, âgée alors de 6 ans. Je n’avais pas perçue moi-même à quel point cet entretien avait été un tournant pour lui et combien il avait été bouleversé. C’est elle qui m’a permis de le comprendre.
 

L’acceptation ne marque pas forcément le retour à la « normale », celui de la possibilité du bonheur ensemble mais il lui est essentiel pour s’inscrire dans la durée.

Nous ne sommes pas réveillés un jour en découvrant que nous étions à nouveau heureux malgré le handicap. Pris dans le feu de l’action, nous avons longtemps perdu nos capacités de prise de recul. Par petites touches, la légèreté est revenue : d’abord parce que nous l’y avons invitée pour tenir bon, et aussi pour que notre fille ainée ne souffre pas, ou pas trop. Heureusement, la joie appelle la joie aussi surement que le malheur appelle le malheur et progressivement le fait reculer. Evidemment c’est un long parcours. Je le comparerais à un long chemin en forêt où de grands arbres nous cachent parfois la lumière mais où on trouve aussi par endroit de magnifiques clairières ensoleillées.

Un jour, j’ai constaté que nous étions heureux et même peut-être plus que d’autres personnes qui avaient, apparemment, tout pour l’être. Je m’en suis étonnée et puis, avec Xavier, je m’en suis réjouie (pour nous, pas pour eux). Nous étions, à nouveau, heureux tout simplement, ou plutôt comme savent l’être ceux qui en connaissent la fragilité : avec émerveillement et une infinie prudence. Nous avions appris à danser sous la pluie.

Mais le chemin ne s’est pas arrêté là. Comme j’aime à la dire, je ne sais pas si nous arrivons à faire grandir Julia mais il est certain qu’elle nous a fait grandir. Avec le recul des années, nous avons pu nous dire que sa différence nous a fait avancer.

Je vois le handicap comme une épreuve, et autant dans la première phase, le temps de l’intégration en fait du handicap de Julia, c’était comme un fardeau dans le sens qu’est-ce qu’on va devenir ? Qu’est-ce qu’elle va devenir ? Cela chamboule tous les plans et, en fait, aujourd’hui finalement c’est un champ d’opportunités : je ne dis pas que tout est simple, mais cela ouvre plein de choses et cela permet de relativiser, de se dire « qu’est-ce qui est important ? Qu’est-ce que je veux faire ? Qu’est-ce que je dois faire ? Pour moi, pour mes proches », et puis globalement « pourquoi je suis là ? ». Julia amène tout ça avec son handicap, finalement si on a la vie des « beautiful people », tout se passe bien puis finalement on peut passer sa vie à ne pas se poser de questions. Même si on peut s’en poser sans avoir un enfant qui a un handicap, le fait d’avoir un enfant avec un handicap cela vous fait poser ces questions-là.

Xavier, papa de Julia, 10 ans
un papa et sa fille

 

 

Ainsi témoigne mon époux de son expérience de père, de la capacité de notre fille à l’interroger sur ses priorités. Elle lui a aussi donné l’audace : celle de se lancer dans une nouvelle activité professionnelle « parce qu’il peut le faire », comme il le dit.

En ce qui me concerne, ma fille m’a appris à être libre. Aussi incroyable que cela puisse paraître, la dépendance de Julia, celle dans laquelle elle nous a plongée, en a été la clé. A cette heure où je ne sais pas de quoi sera fait l’avenir, si elle saura vraiment s’exprimer un jour, ce qu’il adviendra après ma mort et bien d’autres choses, je me sens plus libre que jamais.

Je n’ai pas perdu l’esprit (quoique certains pensent qu’un grain de folie m’a toujours habité …) Je me suis trouvée et acceptée telle que je suis. Ma liberté, je la vis dans l’authenticité avec laquelle j’aborde désormais la vie. Je n’ai plus peur du regard des autres : je sais désormais que ce que pensent les gens leur appartient et ne me définit pas moi, ni ma fille. Julia m’a permis de me détacher du jugement des autres, d’accepter le mien non pas comme le meilleur mais celui qui me convient.

couverture du livre "accueillir un enfant différent en famille"

 

Accueillir un enfant différent en famille. La résilience familiale face au handicap
Anne Juvanteny-Bernadou
Editions Eyrolles, 2018

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