Dès la naissance, dès l’annonce d’un risque, le plus précocement possible, les parents blessés ont ce besoin de guidance parentale initial, pour les aider à regarder leur bébé. On tentera de les initier à des contacts contenants et maternants, à un portage adapté, pour éviter que ne s’expriment ces postures du bébé inconfortables et génératrices de souffrance partagée, ou de projections négatives. Dans le but, en le portant et en le regardant différemment, de lui parler sans le scruter pour voir se confirmer les horreurs annoncées par les médecins autour de la naissance.
Car leur bébé n’initie que très peu, il ne prend pas les devants, il produit trop peu, ou mal. Or, dans les situations normales d’échange, c’est l’enfant qui prend les devants, la mère n’est pas programmée pour le faire, elle est plutôt programmée pour répondre aux avances du bébé. D’où cette difficulté majeure d’accordage quand le bébé ne fonctionne pas comme il devrait !
Les outils signes et objets réels, voire les images, vont venir étayer ce regard et cette communication, car ce ne sont, nous l’avons constaté, que des renforcements de ce que tout parent fait avec son bébé : faire des gestes et montrer les objets avec insistance, en recherchant le regard conjoint du bébé.
Les signes ont l’avantage d’être très faciles à introduire dans les comptines et la musique. Notre répertoire en est plein, et notre créativité en développera d’autres plus adaptées aux situations et aux contextes vécus. Pour les parents, c’est une aide évidente que d’arriver à recruter en eux cette force naturelle et ancestrale de chanter en donnant de soi, qui va les encourager à signer et à désigner s’ils en avaient peur. Chanter avec leurs mains, et avec celles de bébé, va les aider à dédramatiser les signes.
C’est bien l’enjeu de cette guidance parentale : dédramatiser et apprivoiser. Ces outils, tels des rails, guideront les parents pour apprivoiser leur peur de ce bébé différent, et de son avenir. Sur ces rails, il va avancer, les parents avec lui.
Tous ces outils et signes sont à introduire en famille, à la crèche, à l’école maternelle, où l’expérience prouve que les autres enfants s’empareront facilement et sans réticence des signes et trouveront un véritable plaisir à utiliser un mode différent de communication. Les éducatrices ou puéricultrices, si elles sont bien informées y trouveront avantage : il est connu qu’à New York, 9 crèches sur dix ont adopté l’usage de signes avec les bébés, juste parce que la vie de tous devient plus tranquille !
Le jeune enfant qui utilise d’autres modes de communication peut initier ou orienter la conversation, au lieu de dépendre du bon vouloir de l’adulte. Et, se sentant compris il acquiert confiance en lui. Il crie et pleure moins.
Des méthodes existent, associant signes et images, comme Makaton * ou CoGHaMo *. Des associations comme Signe Avec Moi (SAM *) proposent des groupes de parents tout-venant, où les parents d’enfants différents trouveront intérêt et plaisir à être accompagnés dans la découverte conjointe d’une autre forme de communication avec tous ces bébés, handicapés ou non ! Le fait de voir d’autres parents signer, de bénéficier de l’effet miroir du groupe, de jouer et chanter ensemble avec le soutien gestuel et imagé, leur permet de mieux adapter la progression qu’ils proposent, et surtout d’acquérir ces signes de façon automatique, parce qu’intégrés dans des routines : les signes sont des praxies, ils deviennent automatiques au quotidien.
En adoptant ainsi des modes de communication supplétifs, les parents prennent plus le temps d’établir le contact, de regarder, parlent plus lentement, sont plus attentifs, adaptent le rythme et le ton de parole. En d’autres termes, ils offrent au bébé un bain de langage plus adapté…
Avec les bébés trop handicapés qui ne produisent apparemment ni désignation du corps vers des images, ni signes (bien ou mal faits), les parents le plus souvent écorchés et souffrants ont sûrement un long chemin à faire en dehors des chemins balisés de la communication. Ils doivent être accompagnés, et voir proposer à leur bébé diverses prises en charge.
La kinésithérapie pour apprendre à prendre et à porter, à mouvoir leur enfant dans des positionnements harmonieux et compatibles avec la communication (tenue de tête et tronc, motricité des membres, regard).
L’orthoptie si besoin pour renforcer les capacités visuelles en travaillant le regard, mieux installer l’enfant pour le stimuler au quotidien, utiliser quelques aides techniques pour faciliter le recrutement des cellules visuelles non utilisées (gants de couleur vive (fluo) pour signer par ex).
L’ergothérapie pour intégrer ces aides de communication dans la vie quotidienne, pour faciliter ou maintenir la préhension (velcro sur des gants avec objets munis de velcro, ou bracelet pour tenir une cuillère), la découverte de l’espace, pour trouver (fabriquer parfois) des aides de déplacements stimulant le désir de mouvement, et adapter l’environnement… Le bébé est en poussette, c’est naturel, et le passage vers un fauteuil est toujours difficile, tardif. On pourra introduire entre les deux des petites installations à roulettes qui laissent en toute sécurité une certaine liberté de déplacement et qui peuvent éventuelle- ment avoir un impact très important sur l’image que les parents ont de leur enfant : il se déplace !
Et bien évidemment l’orthophonie pour assurer l’adaptation des aides de communication aux capacités de l’enfant, et proposer des évolutions.
Un accompagnement en psychothérapie les amènerait à mieux gérer le regard porté sur leur enfant et lui éviter ainsi des sur-handicaps liés à une attente exorbitante de résultats non adaptée à la déficience, ou à des projections toujours insatisfaites mettant l’enfant en échec de confiance et d’amour.. . Leur culpabilité éventuelle d’avoir un enfant avec un handicap, à laquelle se surajoute souvent celle de ne pas savoir faire avec ce bébé, de ne pas arriver à lui parler comme à un autre, pourrait être parlée et mise à distance.
Au-delà de ces accompagnements parfois lourds au quotidien, les témoignages sont nombreux pour affirmer qu’au détour d’une histoire ou à l’improviste, signer et désigner avec ces enfants dont on pense qu’ils ne le feront jamais en expression, enrichit considérablement la compréhension qu’ils ont des évènements.
Parfois ils nous le montrent avec une réaction, certes non symbolique, mais appropriée et pertinente, qui éclaire ainsi la relation et permet de continuer sur le chemin d’une communication adaptée. Marielle Lachenal, Isaac*, formatrice Makaton * et SAM *, nous dit : « Sur le coup, j’étais gênée, cette maman allait apprendre pendant 6 jours des signes que jamais sa fille n’allait pouvoir faire… Et pourtant dès le deuxième week-end, elle est revenue, bouleversée, car sa fille avait ri aux éclats, de façon opportune, c’était la première fois ! »
Les propos de la professionnelle que je suis, ayant eu trois beaux enfants valides, me donnent aussi à partager le grand respect que j’ai devant tous ces parents d’enfants différents, qui font bien, la plupart du temps, et qui font comme ils peuvent. S’insérer ainsi dans cette relation parent-enfant dans le but de conseiller, devrait d’abord et avant tout s’appuyer sur la question préliminaire : « Comment faites-vous pour communiquer ensemble? », « Apprenez- moi à faire comme vous ». Car ces conseils précoces doivent construire chez eux le sentiment de confiance en eux, et non pas celui, péjoratif, qui donnerait au professionnel la place de celui qui sait, et les conduirait doucement à devenir un peu plus tard des parents démissionnaires.
Conclusion
Tous les moyens cités ne sont pas intéressants en eux-mêmes, c’est l’utilisation modélisatrice et étayante que nous en faisons qui leur donne sens. Il s’agit de nous donner à nous des moyens supplétifs multimodaux pour soutenir, enrichir, baliser et souligner notre langage oral.
Le temps (il en faut !) demandé pour cette communication adaptée s’intègre spontanément dans les activités elles-mêmes ; ce n’est jamais du temps volé au plaisir partagé mais au contraire du temps gagné pour vivre et revivre encore des plaisirs partagés, et stimuler l’évocation.
Et si ces moyens ne servent pas toujours à une expression précise d’un acte de langage intériorisé et anticipé de la part du jeune enfant, ils sont souvent l’occasion pour nous d’une lecture nouvelle des comportements, des trajets, des mouvements de ce bébé différent. Des mouvements vers, des réactions, des stations prolongées devant telle ou telle photo seront autant d’observations pour analyser et mieux comprendre ces tentatives de communication aussi minimes et peu différenciées soient-elles.
Il ne peut pas s’agir d’emblée de faire émerger la parole chez cet enfant. Il s’agit, par l’exploration de moyens différents, dans l’interaction avec l’autre de découvrir plus de sens à la vie et au monde, et peut être un jour de s’exprimer à ce propos…
Merci à Marielle Lachenal pour sa relecture attentive et contributive.
Références
Article publié dans la revue Rééducation orthophonique, n°241, mars 2010 – Pour en savoir plus, cliquez ici.