Il ne parlera jamais comme vous et moi, ce dont il se rend parfaitement compte (il peste souvent contre son cerveau…) mais cela ne me fait plus souffrir : il parle, avec certes un manque de mots important, une conjugaison douteuse, des genres pas toujours respectés, des phrases bancales mais les gens le comprennent et c’est là, l’essentiel. Il est en capacité de raconter ce qu’il a fait, de décrire ce qu’il a vu, de dénoncer des faits, d’exprimer ses émotions, de dire ce qu’il ressent corporellement, de faire un choix, de décrire ses peurs, ses cauchemars, de demander de l’aide y compris par téléphone/SMS et de dire qu’il n’a pas compris ou qu’il est perdu. Il ne sera jamais en capacité de lire un roman mais il a acquis une bonne culture générale grâce à des supports adaptés, aux BD, au cinéma ce qui l’aide à mieux comprendre et accepter le monde qui l’entoure.
Rien n’est venu naturellement : il progresse toujours en isolant des mots, en rabâchant sans cesse, en passant par des spots publicitaires, des chansons, des bandes annonces qu’il tourne en boucle, par la lecture de BD. Des mots repartent et d’autres arrivent, les adultes progressent aussi à tout âge si on continue à les stimuler.
Il est de plus en plus dans la communication, essaie d’engager une conversation même s’il s’aperçoit avec beaucoup de déception que les neurotypiques ne s’intéressent guère à lui, à ses centres d’intérêt et restent très égoïstes, enfermés entre eux dans leurs conversations.
Avec un parcours scolaire en Ulis, Nicolas ne connaissait que l’inclusion où les personnes peuvent s’adapter à sa compréhension en simplifiant leur langage. Il était inconcevable pour lui qu’à l’âge adulte, on lui demande tout à coup de ne plus faire partie de cette société. Des entreprises et des patrons nous ont tendu la main mais tant de portes se sont fermées lors de sa recherche d’emploi malgré une multitude de stages, de formations, d’essais en ESAT. C’est finalement McDonald’s qui a accepté de lui donner sa chance. Il est en CDI depuis 1 an à temps partiel, a enfin son « ticket d’or », comme il dit, motivé par l’argent et par son idole, Bob l’éponge, expert en hamburgers J. Il sait qu’il doit s’adapter au milieu, tout comme ses collègues s’adaptent à lui. Beaucoup de plonge, de ménage mais il fait aussi le service à table ce qui peut le mettre en difficulté car il ne comprend pas toujours les clients. Mais en cas de souci, il leur explique qu’il est autiste, va chercher un collègue et les gens réagissent le plus souvent positivement en s’apercevant à sa manière de répondre qu’il a « ce p’tit truc en plus »… Je ne sais pas combien de temps sa motivation tiendra mais il faut savoir apprécier les moments de stabilité…
Avec un planning avec horaires détaillés ainsi que des outils adaptés, il parvient à être autonome dans la plupart de ses gestes quotidiens (depuis le début de cette année, il crée même ses propres pictogrammes, les miens ne lui conviennent plus ! J). Il ne pourra jamais vivre seul mais il doit apprendre à dépendre le moins possible de nous. Il poursuit ses activités ludiques : il a commencé le violon et après 15 ans de gym adaptée, parvient à suivre des cours de gym tonic.
Il peut toujours s’enflammer rapidement mais si nous faisons attention à la surcharge sensorielle, si nous respectons des moments de pause quotidienne (dont la sieste), il prend davantage sur lui et la vie familiale est plus facile. Il n’a aujourd’hui plus de suivi, l’accompagnement adapté des adultes reste si compliqué, voire inexistant pour les personnes autistes avec déficience intellectuelle en milieu ordinaire, comme si leur place ne se trouvait qu’en milieu protégé. Il est soit « trop », soit « pas assez »… L’avenir reste préoccupant, des solutions d’accueil devraient être créées dans chaque commune pour leur permettre de conserver un lien familial et ne pas les déraciner : l’inclusion n’est pas qu’une affaire d’enfants.