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- Quand le diagnostic anténatal vient bouleverser l’attente d’un enfant
Anne-Marie Rajon évoque les effets d’un diagnostic anténatal auprès des parents…
« Dans l’attente d’un enfant, la découverte d’une anomalie, quelle qu’elle soit, provoque toujours chez les futurs parents, des réactions parfois violentes qui remplacent l’attente joyeuse et impatiente de l’enfant à venir… »
Le projet d’enfant est un projet grandiose, toujours empreint d’idéalisation : idéalisation de la famille à venir, idéalisation de l’enfant à naître : il sera le meilleur des bébés et ses parents seront pour lui les meilleurs des parents.
L’enfant à venir est d’abord l’enfant du rêve, support de toutes les identifications : on le projette comme un autre soi-même dans lequel on pourra se reconnaitre, mais que l’on souhaite aussi un autre soi mieux que soi, plus beau, plus fort, qui sera à l’abri des vicissitudes qu’inflige la vie quotidienne ; il réparera ses parents de leurs échecs. Un tel projet est porteur des espoirs fous des recommencements. Ce lien par lequel les parents s’identifient à leur futur enfant est un lien indispensable qui permet de projeter avec force et convictions un nouveau-né dans la vie.
Progressivement, cet enfant imaginaire devra cependant laisser la place à l’enfant de la réalité. Les parents devront le reconnaitre progressivement comme un être véritablement nouveau, différent et distinct d’eux. Ce sera pour eux une source de joie et d’étonnement, et parfois une source de désarroi quand trop de différences peut dérouter et blesser. Mais c’est dans le va-et-vient constant entre émerveillement de la ressemblance et étonnement de la différence, que se fonde l’amour des parents.
Dans cette attente, la découverte d’une anomalie, quelle qu’elle soit, provoque toujours chez les futurs parents, des réactions parfois violentes qui remplacent l’attente joyeuse et impatiente de l’enfant à venir.
Ces manifestations ne sont que l’envers de cet attachement si fort et si singulier qui se noue entre- eux. A l’annonce du diagnostic, le plus souvent à l’échographie, ces réactions expriment d’abord terreur, révolte, déception, échec, rejet, désinvestissement de la grossesse et ne sont dans l’immédiat que l’expression d’une blessure extrêmement douloureuse. La culpabilité, à laquelle s’ajoute souvent la honte, est importante en particulier chez les futures mères qui se reprochent de n’avoir pas su « fabriquer » un enfant normal. Cette honte est avivée par la crainte du regard et du jugement des autres, et beaucoup, pendant un temps, ne veulent pas, pour un temps, affronter les regards.
Ces manifestations constituent ce que l’on peut appeler « l’effet annonce ». Elles sont l’expression d’une crise quasi obligatoire, d’un véritable état de choc, auquel personne n’échappe, et qui ne préjuge en rien des décisions qui seront prises par la suite. Cette crise doit nécessairement trouver une issue, et le dénouement dépend dans la plupart des cas, de deux facteurs : la gravité médicale de la malformation dépistée, et la tolérance du couple, père et mère, à y faire face.
Pour toutes les femmes, l’échographie obstétricale a radicalement changé le vécu de la grossesse, et quand le dépistage débouche sur un diagnostic de malformation, le drame éclate. Quelle que soit la gravité du diagnostic, la question de l’arrêt de la grossesse surgit. Si la malformation est grave, le couple, mais surtout la mère qui porte l’enfant, se trouve confrontée à un impossible choix de vie ou de mort pour le fœtus. En France, comme dans la plupart des pays d’Europe, la loi confie la décision d’un interruption de grossesse pour raisons médicales liées au fœtus, aux équipes médicales ( Centre pluridisciplinaires de Diagnostic Prénatal ou CPDPN), et aux futurs parents, dans une « négociation », où entrent à la fois les critères de gravités de l’anomalie, et les craintes et représentations qu’elle suscite. L’ambivalence, ce conflit personnel qui pour chaque décision fait peser le pour et le contre, rend difficile les décisions à prendre. Elle met en balance les « intérêts » de chacun, ceux des parents (« nous sentons nous prêts à affronter la malformation ou le handicap ? »), et ceux de l’enfant (« a-t-on le droit de le mettre au monde et de le faire souffrir » ou « pourrait-il plus tard nous reprocher de l’avoir laissé naitre ? »). Dans le plus grand nombre de cas des malformations dépistées, la poursuite de la grossesse est possible. Mais, dans tous les cas, la découverte d’une malformation qu’elle soit grave ou ne le soit pas, interrompt pour un temps plus ou moins long, le processus de parentalité, avec son cortège d’idéalisation, de rêveries, d’identifications. Seule, la rencontre avec le nouveau-né à sa naissance – quand la grossesse se poursuit – peut remettre en route les rêveries oubliées.
Dans d’autres cas, il y aura interruption de grossesse. Elle sera décidée après discussion entre les médecins et le couple. Aussi justifiée soit-elle, c’est une décision déchirante. L’épreuve est difficile pour les hommes et les femmes, mais plus particulièrement pour les femmes qui portent l’enfant. Durant la grossesse, la mère et le fœtus ne font qu’un, inséparable. S’il y a perte fœtale, la mère ne peut pas clairement reconnaitre ce qu’elle a perdu ni qui elle a perdu. C’est en quelque sorte une perte inconnue. Il manque en effet l’épaisseur d’une vie en commun, de souvenirs partagés dont la réalité favorise l’engagement dans la dynamique du deuil. C’est dire ici que l’épreuve est douloureuse et le travail de deuil compliqué. . C’est, de plus, une perte, un deuil, inqualifiable. Dit-on : « J’ai perdu mon fœtus » ? Peut-on dire : « J’ai perdu un enfant » ? Peut-on se qualifier de « parents » ? L’entourage, affecté mais forcément plus à distance, est tenté de réduire le drame en un « non-évènement », maladroitement évacué par un « vous êtes jeunes, vous en aurez d’autres…. ».
Dans le couple également, la communication peut être difficile. Toutes ces raisons amènent certains couples, ou certaines femmes en particulier, à consulter parfois un psychothérapeute : pouvoir parler de l’épreuve, de l’enfant qu’elles n’ont pas eu, pouvoir parler des rêves abandonnés, pouvoir évoquer la culpabilité d’avoir « décidé » cette interruption. Beaucoup traversent de longues semaines de tristesse et se confrontent parfois à des épisodes de dépressions sévères. L’évolution dépend de la personnalité de chacun, de sa propre histoire, de l’histoire du couple, de l’environnement familial. La plupart parviennent à surmonter l’épreuve, et arrivent à faire le projet dans un avenir plus ou moins proche d’avoir un autre enfant. Et souvent, ce n’est qu’à la naissance de l’enfant qui suit l’interruption, que ce que l’on appelle le travail du deuil s’achèvera.
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