Ma fille me disait chaque semaine qu’elle voulait dormir au centre.
Il m’a fallu une année pour accepter d’entendre ce que ma fille, inlassablement me demandait : dormir à l’internat. Ce n’était pas le nombre de jours qui comptaient, à l’époque sa demande ne concernait qu’un soir par semaine. Non, c’était le symbole. L’internat était pour moi le symbole du handicap. J’avais grandi avec mes parents et mes deux sœurs, et quand je suis partie de la maison, à 19 ans, cela a déjà été une déflagration dans ma vie. Alors choisir, en tant que mère, de laisser ma fille de 10 ans, mon bébé, le prolongement de moi-même, partir loin de moi un soir par semaine, c’était juste de la violence à l’état pur.
D’autant que notre histoire n’était pas facile, ça faisait à peu près depuis toujours que je l’élevais seule et que mon quotidien -travail inclus- était organisé autour d’elle, comme une évidence.
Fille unique, elle ne cessait de me dire qu’elle en avait marre de la maison, que ses copains étaient comme les frères et sœurs qu’elle n’avait pas eus, qu’elle en avait assez des transports…A force d’entendre ces arguments tous aussi bons les uns que les autres, et imprégnée de l’idée que le handicap de ma fille n’était pas une raison valable pour que je la prive de sa liberté de choix, j’ai fini par accepter.
Autant vous dire que de mon côté, les premiers mois ont constitué une véritable traversée du désert. J’étais totalement perdue et je me flagellais de représentations tout aussi stupides et inutiles les unes que les autres : « si t’as pas ta fille, c’est que ta place est au boulot. » « si ta fille est à l’internat, profites-en pour faire tes papiers en retard. » « si t’as une journée sans devoir la récupérer au transport, c’est le moment de repasser à temps plein », etc. L’enfer commence par soi-même !
Les années ont passé depuis, avec une augmentation progressive à deux soirs par semaines. Puis, d’après l’expérience positive d’amis m’ayant raconté l’équilibre qu’ils avaient trouvé en organisant deux soirs consécutifs d’internat, nous avons essayé cette formule, gagnante pour nous aussi. Nouveau changement l’an dernier, lorsqu’en rentrant le jeudi soir, ma fille était systématiquement agressive, voire violente. Ne cessant de répéter qu’elle en avait marre de la maison, d’être toujours avec sa mère, qu’elle n’en pouvait plus de la voir, qu’elle voulait vivre à l’internat. En bref, un message clair et net. Je dois bien avouer que le passage aux trois nuits ne s’est pas fait sans larmes. Les miennes, évidemment. Mais ma fille, elle, du jour où j’ai accepté le changement, est rentrée le vendredi soir à la maison avec le sourire jusqu’aux oreilles, heureuse de rentrer chez elle et de retrouver ses petites habitudes familiales.
J’ai souvent repensé aux paroles d’une amie, maman solo comme moi, dont aucun des enfants n’avait de handicap, et qui m’avait dit : « tu n’imagines pas la chance que tu as de pouvoir bénéficier de temps pour toi dans la semaine grâce à l’internat. Moi si je pouvais, je n’hésiterais pas une seconde et je pense que ça ferait vraiment du bien à mes enfants aussi ! »
L’internat faisait vraiment partie de notre projet de vie.
Pour Anne et Sébastien, les parents de Morgan, Antoine et Louison, l’état d’esprit était bien différent. Sébastien, le papa de Morgan, avait lui-même une expérience d’internat puisqu’il avait été interne à la semaine durant toute la période du lycée, en raison de la distance. Pour Morgan, rien à voir, il habite à quelques minutes de l’établissement. « L’internat, ça faisait vraiment partie de notre projet de vie, ça a été choisi, anticipé, et on aimait le côté réversible (on essaie une nuit et on peut revenir en arrière si besoin). L’internat, c’était un formidable moyen d’émancipation. Notre objectif n°1 : Aller vers l’autonomie.
On a eu l’occasion d’aller voir Morgan quelques fois à l’internat, il a une vie avec une société, même si ce n’est pas la vie en société. Il apprend qu’il y a les règles du centre et d’ailleurs ça le perturbe beaucoup que les règles ne soient pas forcément les mêmes qu’à la maison ! »
L’internat comme solution de répit
Morgan a demandé une 2ème nuit et pour nous c’est le seul répit qu’on ait, nous n’avons pas de famille ici. Les seuls moments qu’on ait sans lui c’est quand il est à l’internat ou avec une auxiliaire de vie. Les retours à la maison après les nuits d’internat sont parfois difficiles. Le jeudi soir, c’est la pire soirée, on a le double effet : lui de ne pas nous avoir vu pendant 48h, nous de ne pas l’avoir vu pendant 48h. Heureusement, entre temps, on a eu le temps de recharger les batteries.
Pour nous, le choix de l’internat s’est imposé
Laurence, la maman de Rémi, explique que le choix de l’internat s’est imposé. Au départ, il était en ULIS, il faisait les trajets tous les jours. A 10 ans, il partait à 6h15 et rentrait le soir à 19h. Ça a été l’horreur, on était en conflit continuellement, il n’en pouvait plus. Donc au départ, l’internat a été bénéfique, ça nous a apaisé. Au départ, Rémi dormait 1 ou 2 nuits. A l’époque, ses parents tenaient un commerce dans leur village, éloigné de l’établissement. Un travail 7j/7, qui les empêchaient de venir à l’établissement. « Rémi partait le lundi matin et rentrait le vendredi soir. Rémi, c’est un enfant qui parle peu. Nous, nous étions dans l’impossibilité de venir souvent. Ce que je reproche au centre, c’est qu’à chaque fois que les éducateurs nous téléphonaient c’est que quelque chose n’allait pas bien. »
Malgré les relations parfois tendues avec les professionnels, Laurence voit les bénéfices de l’internat :